Cet été, dans ma résolution de lire des livres utiles pour l’écriture, j’ai découvert Comme par magie d’Elizabeth Gilbert, également autrice du bestseller Mange, Prie, Aime. J’ai vraiment beaucoup apprécié ce livre que j’ai trouvé inspirant et utile, avec une vision des choses à la fois simple et très rafraîchissante. Dès que je l’ai terminé, je l’ai immédiatement rouvert pour prendre des notes et garder ses enseignements en mémoire (et, accessoirement, vous écrire cet article).
Quelques précisions :
- Ce livre traite de la créativité au sens le plus large. Il évoque parfois l’écriture en particulier, et je le ferai également, mais c’est à considérer comme un raccourci pratique : les remarques sont valables pour toutes les formes de créativité
- Par ailleurs, j’écris cet article en partant de mes notes qui peuvent reprendre textuellement certaines phrases du livre. Afin d’éviter d’être accusée de plagiat, dans le doute, considérez que tout ce que vous lirez ci-dessous aura été écrit par Elizabeth Gilbert à moins que je ne dise explicitement le contraire
L’une des idées principales développée dans ce livre a quelque chose de mystique.
Elle consiste à considérer la création comme une force d’enchantement. L’inspiration, la créativité, les idées sont des entités à part entière, extérieures aux êtres humains. Leur objectif est de trouver des partenaires humains disponibles et réceptifs pour leur donner vie. Pour tous ceux qui sont attentifs, elles se manifestent constamment en envoyant des signaux physiques et émotionnels, des coïncidences, des présages.
Si on leur dit oui, on signe un contrat avec l’inspiration et on accepte de se lancer dans une existence créative et enchantée.
Qu’est-ce qu’une existence créative ?
Mener une existence créative ne signifie pas forcément de tout plaquer pour suivre sa passion
Déjà, parce que tout le monde n’a pas forcément de passion absolue et dévorante.
Et ce n’est pas grave. On peut très bien amener de la créativité dans une vie « normale », sans défrayer la chronique – Elizabeth Gilbert cite l’exemple d’une de ses amies qui s’est remise au patinage artistique après s’être rendue compte que ça lui manquait depuis l’adolescence.
Plutôt que la passion, mieux vaut utiliser la curiosité. Identifiez dans votre vie quotidienne quelque chose qui vous intéresse, même un tout petit peu, même si cela vous semble insignifiant. Creusez cet intérêt, travaillez dessus. La curiosité est un indice laissé par la créativité, un fil sur lequel on peut tirer pour découvrir quelque chose qui va nous transporter.
Pour vous donner un autre exemple : à une époque où elle manquait d’inspiration pour écrire, Elizabeth Gilbert s’est intéressée à l’entretien de son jardin. Elle a fini par écrire L’Empreinte de toute chose, un roman sur une famille de botanistes aventuriers au XIXème siècle. Étonnant, non, jusqu’où un peu de curiosité insistante peut nous mener !
Enfin, là où les émotions violentes de la passion peuvent être passagères, la « simple » curiosité permet de continuer à travailler de manière régulière.
C’est encore moins tout plaquer pour vivre de sa passion
J’ai trouvé cette remarque surprenante car, pour un très grand nombre de écrivains, le rêve est justement de pouvoir vivre de leur plume. Mais Elizabeth Gilbert met très sérieusement en garde contre le fait de viser cet objectif à tout prix.
En effet, vivre uniquement de son art implique d’avoir des revenus précaires et variables et donc d’avoir régulièrement peur de ne pas réussir à maintenir son niveau de vie, voire de pouvoir payer son loyer.
Or la peur est très néfaste à la créativité. Donc prendre un tel risque, c’est le meilleur moyen de perdre l’inspiration. Mieux vaut garder une source de revenus annexe pour éviter de donner à son art l’écrasante responsabilité de nous faire vivre.
Elle réfute encore deux idées populaires :
- Celle de se dire qu’on ne peut pas écrire parce qu’on manque de temps. Si on a trouvé une vie créative qui nous comble suffisamment (et j’insiste sur le « suffisamment »), on acceptera les sacrifices de temps et d’énergie qui s’imposent [note : je déconseille toutefois de sacrifier le sommeil, qui est indispensable à notre santé, mais aussi à notre créativité et notre productivité]
- Celle de rêver de consacrer l’intégralité de ses journées à écrire, dans une retraite paisible à l’écart du monde. Bien sûr, c’est très agréable de le faire de temps en temps, pendant ses vacances par exemple. Mais s’astreindre à pratiquer son art pendant des moments volés n’est pas forcément nuisible. Contrairement à une idée courante, les contraintes ne brident pas forcément la créativité, au contraire. Si être riche au point de ne pas avoir à travailler à côté suffisait pour être un artiste talentueux, ça se saurait.
La créativité ne doit pas être vue comme une carrière mais comme une vocation.
En tout cas, si vous en doutiez encore une chose est sûre : pas besoin que vos livres paient votre loyer pour vous autoriser à vous considérer comme écrivain.
Pourquoi est-ce important ?
L’intérêt de mener une existence créative est tout simple : ça rend plus heureux ! La création est ce qui distingue une vie banale d’une existence enchantée, la voie qui mène le mieux à l’émerveillement. Et l’âme humaine ne demande qu’à être émerveillée.
Bien sûr, au passage, on peut échouer et notre ego peut en souffrir.
On a souvent l’image de l’Artiste Tourmenté, le génie qui doit souffrir pour donner naissance à son art et s’en sert d’excuse pour avoir une conduite insupportable avec les autres. Mais aborder la créativité de cette façon n’est en aucun cas une obligation, ni même une recommandation. Elizabeth Gilbert proposer au contraire de coopérer avec l’inspiration, « humblement et joyeusement ».
Créer humblement
L’humilité s’appuie sur trois choses : le travail, la persistance et l’acceptation de l’imperfection.
Travailler avec constance et patience
Coopérer avec l’inspiration suppose du travail : un travail patient, obstiné, pour être toujours prêt à accueillir les idées vagabondes qui peuvent surgir dans notre esprit. Si on ne leur accorde pas assez de temps et d’attention, les idées peuvent très bien nous quitter pour aller devenir le roman, le film, l’album ou la pièce de théâtre de quelqu’un d’autre.
Il faut traiter sa créativité comme si on était amoureux, en étant prêt à laisser tout le reste en plan pour lui consacrer quelques instants.
Ecrire n’est pas facile et on ne doit pas s’attendre à être bon du premier coup. Il est nécessaire de pratiquer pour apprendre et s’améliorer. Oui, vous allez subir des moments désagréables et frustrants, et c’est là qu’est le cœur du travail : tenir le coup entre les bons moments.
Persister malgré l’échec (et malgré le succès)
Elizabeth Gilbert développe une idée qui m’a beaucoup touchée : souvent, les méthodes de développement personnel demandent ce qu’on ferait de nos vies si on était sûr de ne pas échouer. Mais elle propose une autre approche, à savoir se demander ce qu’on voudrait faire de nos vies même en étant certain d’échouer.
Votre roman ne sera probablement pas un bestseller. Voilà, c’est un fait. Est-ce que ça va vous dégoûter de l’écriture à tout jamais ? Vous faire abandonner toute créativité dans votre vie ? Sans doute pas, ce ne serait pas très intéressant. Si vous aimez suffisamment pratiquer votre art, l’échec ou le succès n’ont plus vraiment de sens.
Là est la clé de l’existence créative : trouver une tâche qui nous émerveille suffisamment pour en supporter les aspects les plus désagréables.
Le succès repose sur le travail, le talent et la chance. Donc le travail ne garantit pas le succès, mais c’est la seule carte que vous maîtrisez, donc c’est là-dessus que doit se concentrer votre attention. Le travail dépend de vous, pas le succès.
Ne pas s’inquiéter des critiques à venir
Travaillez donc avec diligence et ne visez pas la perfection, parce que vous ne l’atteindrez pas. L’important est que le travail soit terminé, pas parfait.
Terminé aussi bien qu’on puisse le faire dans un délai raisonnable, mais terminé.
Le perfectionnisme vous empêchera d’achever votre travail, voire de le commencer (surtout si vous êtes une femme, mais c’est un autre sujet). Tout peut être critiqué et, après tout, les choses imparfaites ont aussi leur charme.
Qu’on vous critique ou qu’on vous acclame, gardez en tête que l’opinion que les gens auront de votre œuvre n’aura pas forcément de lien avec votre talent réel. Elle sera influencée par des tas de facteurs dans un sens comme dans l’autre : leur humeur du jour, le souvenir d’enfance que votre création évoque, ce qu’ils ont mangé au déjeuner, etc. Vous n’êtes responsables que de la production de l’œuvre, pas de sa réception.
Personnellement, quand mon roman Le Page de l’Aurore est sorti j’étais très inquiète que les lecteurs me reprochent sa structure un peu bancale. Au final, une seule personne m’en a fait la remarque (parmi des dizaines de retours), et au contraire les autres lecteurs ont adoré tout un tas d’aspects du roman dont j’avais complètement sous-estimé les attraits. Donc, bon.
Personne ne réussit tout, tout le temps, et l’échec est inévitable.
Si vous avez échoué, étudiez vos échecs pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné. Ne perdez pas courage quand les choses deviennent difficiles, parce que c’est à ce moment-là qu’elles deviennent intéressantes. Rappelez-vous que nous sommes tous, toujours, des débutants.
Allez de l’avant et passez à la suite, voire trouvez-vous une autre occupation créative pour vous changer temporairement les idées.
Si l’art vous apporte trop de souffrance, alors peut-être vaut-il mieux y renoncer. Mais si vous ne trouvez rien qui vous fascine, vous émeuve ou vous inspire autant, vous n’aurez pas d’autre choix que de persévérer.
Créer joyeusement
Tout ce travail s’accompagne d’une composante capitale, la confiance, qui apporte la joie qui va illuminer nos vies.
Il faut avoir en tête que les idées ne demandent rien de mieux que d’éclairer nos vies, que la créativité nous aime autant qu’on l’aime. Si on considère que les idées désirent être réalisées, elles n’ont aucune raison de nous faire du mal ni de nous imposer de souffrir pour créer. Ce serait contre-productif.
Eudaimonia, le bon démon
Elizabeth Gilbert cite le concept gréco-romain de l’esprit divin de la créativité, le génie, le bon démon. Le génie n’est pas l’artiste, il lui est extérieur. Et ce concept ôte une énorme responsabilité des épaules de l’artiste : il lui épargne la grosse tête comme la déprime. L’artiste a produit une bonne œuvre ? C’est grâce à son génie. Il a fait un flop ? C’est que le génie ne s’est pas manifesté cette fois-là. C’est dommage mais, si l’artiste a tout de même travaillé sérieusement, alors ce n’est pas de sa faute. Pas de quoi avoir honte.
Le bon démon n’est pas là en permanence, alors il ne sert à rien d’attendre sa visite sans rien faire. C’est plutôt l’inspiration qui attend qu’on soit sérieusement impliqué dans son travail pour apparaître.
Avec cette vision des choses, il n’y aucune raison d’avoir peur de se planter, ou de faire moins bien que son œuvre précédente. La principale satisfaction de l’artiste ne doit pas venir du succès de son œuvre, puisqu’il ne le maîtrise pas et n’en a pas tout le mérite, mais simplement du « discret triomphe » de fabriquer quelque chose et de le partager, sans rien attendre en retour.
La confiance de partager son œuvre
L’ultime geste de confiance créative consiste à faire connaître au monde son travail une fois achevé. Si on l’a créé, on a le droit de le montrer.
Cette confiance n’est pas liée au succès qu’on attend car le résultat n’a pas d’importance. La confiance revient à se dire : « Tu es méritant, tu continueras ton œuvre, tu continueras de la partager, tu étais né pour créer, quel que soit le résultat, même si tu ne comprends pas le résultat ».
Se tenir prêt à accueillir ces idées vagabondes avec respect et curiosité. Être satisfait de ce qu’on a créé. Soutenir les autres en reconnaissant qu’il y a de la place pour tout le monde. Mesurer sa valeur à l’aune de son dévouement et non de ses succès ou échecs.
Avoir la permission de créer
S’il y a bien une chose qui me chagrine, c’est de voir la quantité monstrueuse d’artistes (notamment féminines) qui répètent souvent qu’elles ne veulent pas se lancer dans un projet qui leur plairait parce qu’elles ne se sentent pas légitimes, parce que d’autres ont déjà fait tellement mieux, parce que, en un sens, elles ne le méritent pas.
Vous n’avez besoin de la permission de personne pour mener une existence créative.
De PERSONNE.
Sauf de vous-même.
Se lancer dans une existence créative, en effet, ça demande de l’investissement et le courage de se lancer, voire un certain culot. Ça demande surtout que vous reconnaissiez que vous en êtes capable. Rappelez-vous, la peur tarit la créativité. Si vous vous auto-persuadez que vous n’êtes bon(ne) à rien et que ça ne sert à rien d’essayer, vous resterez comme vous êtes. Mais quel dommage 😞
Il y a eu récemment quelques débats sur l’importance contestée d’être original (je vous renvoie aux commentaires sur mon article relatif aux clichés, et à celui de Monde Fantasy sur l’originalité en fantasy). Mon opinion a récemment évolué sur le sujet et Elizabeth Gilbert a bien résumé ma nouvelle conviction en expliquant qu’il n’est pas important d’être original du moment qu’on est authentique, qu’on apporte sa touche personnelle au sujet, sa vision des choses. Il est naturel que les mêmes sujets reviennent encore et toujours, parce que toutes les générations éprouvent plus ou moins les mêmes besoins et se posent les mêmes questions.
Le paradoxe de la créativité : essentielle et parfaitement inutile
L’art n’appartient pas à quelques élus et le potentiel créatif est même inscrit dans les racines de l’humanité. Les hommes préhistoriques peignaient les murs de leurs cavernes bien, bien avant de se préoccuper d’inventer l’agriculture et de devenir productifs.
La beauté de l’art vient justement du fait qu’il est superflu. Manger, boire, se soigner ou se loger sont des choses indispensables à notre survie, mais l’art va au-delà. Il prouve que nous pouvons nous libérer des contraintes immédiates de la survie. C’est ce qui le rend si précieux.
C’est – pour terminer ce très long article – tout le paradoxe de la vie créative : il faut considérer ce qu’on crée avec autant de sérieux que de légèreté.
Du sérieux, pour lui accorder le plus de place possible dans notre vie, y consacrer du temps et nos efforts les plus sincères, car la création a une importance profonde dans notre vie. Mais de la légèreté aussi (pour rester sain d’esprit !), en se rappelant que l’art est superflu et que nos succès comme nos échecs sont finalement insignifiants.
Humblement et joyeusement.
Sur ce, je vous invite à vous remettre au travail 🙂
(Les images proviennent de Canva)
Excellent article! Pour le coup ce qu’elle dit est très vrai, il faut arriver à se détacher de cette notion ( peut-être très, trop française?) de noir et blanc, soit on réussit et c’est génial, soit c’est l’échec, il n’y à pas de demie-mesure.
Je sais que pour moi c’est totalement ça même si ca va un peu mieux depuis quelques temps, je reste avec cet état d’esprit et c’est trèsssss dur de s’en défaire je trouve.
Merci ! C’est effectivement un livre que j’ai trouvé à la fois déculpabilisant et motivant 🙂
Bon courage à toi pour t’accrocher !
Très joli article. Je pense que je le relirai quand j’en aurai besoin… Merci.
♥️ je pense que le livre te plairait
Un bel article sur un des livres les plus importants de ma bibliothèque. Le travail du bon état d’esprit est souvent délaissé par les auteurs au profit de la technique. C’est pourtant essentiel. L’ignorer revient à vouloir apprendre à conduire une formule 1 dont le réservoir est vide.
Comme par magie est un vrai manuel de survie pour artiste. Un livre qu’il FAUT avoir lu si on a quelques ambitions (aussi minimes soient elles) dans un domaine artistique.
Ce que j’ai ressenti en le lisant c’est que c’était enfin le bon équilibre entre le côté « j’écris sans me prendre la tête sur ce que penseront les lecteurs et avant tout pour me faire plaisir » et « je suis tous les conseils et toutes les recommandations pour écrire sérieusement et produire un livre qui marchera »
Merci pour cet article sur un livre qui m’a été bien utile dans les moments de doutes par rapport à mon écriture. Oui, il faut pratiquer son art avec sérieux et légèreté. Il y a dans l’art quelque chose qui nous dépasse, et qui est profondément humain. Une belle vie que celle de l’artiste, qu’il rencontre le succès ou non. Il se trouve sur le bon chemin : celui qu’il a choisi parce qu’il se l’est autorisé.
C’est tout à fait ça 🙂 J’ai trouvé ce livre très apaisant
C’est vrai que ce livre à l’air très inspirant. Je crois que si ma réservation à la médiathèque tarde trop, je vais l’acheter. J’avais surement parlé de libérez votre créativité de Julian Cameron, c’est aussi un livre qui inspire et déculpabilise. Je pense que les deux peuvent être très complémentaire. En tout cas, merci pour cette présentation.
Je suis contente de l’avoir acheté pour le garder sous la main si un jour j’ai un coup de mou 🙂
😆 mon banquier ne serait pas de ton avis 😂😂😂
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