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Mes 5 plus grosses erreurs en narration

    Narrateur extradiégétique ou intradiégétique ? Focalisation interne ou externe ? 

    Si ces termes ne vous disent rien, vous êtes probablement comme moi il n’y a pas si longtemps : vous n’y connaissez pas grand-chose en narration. Donc, il y a de fortes chances que vous fassiez vous aussi des erreurs.

    Pour vous aider à les reconnaître dans vos récits et à ne plus les reproduire, je vous propose de passer en revue les 5 principales erreurs de narration que j’avais tendance à commettre dans mes écrits.

    Je m’appuierai pour cela sur les précieux articles de Stéphane Arnier : je vous conseille d’ailleurs de lire sa série sur le sujet de la narration. Ses articles sont passionnants, pleins d’exemples et ont beaucoup contribué à m’ouvrir les yeux.

    Mes 5 plus grosses erreurs en narration

    1 : Ne pas savoir faire la différence entre les types de narration

    En matière de narration, je reviens de loin.

    J’ai mis longtemps à accepter que c’était un sujet qui méritait d’être étudié et travaillé. La première fois que des amies romancières ont essayé de me faire comprendre que, si, si, c’était important, j’ai trouvé moyen de leur répondre que « je m’en fichais », « je ne comprenais pas pourquoi c’était considéré comme une erreur » de changer de narrateur à tout bout de champ et que « le lecteur n’était pas une petite chose délicate » au point qu’on doive soigner la narration.

    Je les remercie pour leurs patientes explications.

    En effet, je mélangeais complètement la narration focalisée (où le narrateur partage les pensées du personnage et ne sait rien de plus que ce qu’il sait) et la narration omnisciente (où le narrateur connaît le passé et/ou le futur, voire les pensées de tous les personnages à la fois).

    J’ai depuis appris qu’une narration mal maîtrisée causait plusieurs problèmes :

    • C’est désagréable pour le lecteur et ça le déstabilise, surtout si c’est fait inconsciemment
    • C’est maladroit et ça renvoie une image d’auteur débutant, qui ne maîtrise pas ce qu’il fait
    • Ça peut créer de la distance entre le lecteur et le personnage, donc casser l’immersion du lecteur dans le récit

    2 : Multiplier les points de vue sans raison

    Mes erreurs en narration les plus grossières se sont manifestées dans le premier jet de Météorites, écrit il y a quelques années.

    Dans ce texte, même si j’avais prévu que l’essentiel des chapitres soient narrés du point de vue de l’héroïne, j’avais aussi donné la parole à quelques autres personnages. Sauf que je le faisais sans aucune logique ni continuité.

    Dans un roman comme Le Trône de Fer, chaque personnage qui a un point de vue a son arc narratif propre et garde, généralement, des chapitres de son point de vue jusqu’à sa mort.

    Tandis que dans mon histoire, le prologue montrait un groupe de personnages mystérieux, puis on passait à l’héroïne, 3 chapitres plus tard à son mari, ensuite de nouveau à l’héroïne, puis au milieu de l’histoire à un autre personnage, etc. Les personnages derrière ces points de vue n’étaient même pas tellement travaillés, ils n’avaient pas tous d’arc propre et servaient essentiellement à montrer l’héroïne à travers le regard des autres.

    Même dans la version que j’ai fait relire à mes bêta-lectrices en janvier, j’avais gardé cinq interludes qui intervenaient au cours de l’histoire. Presque tous écrits avec une narration différente, certains en omniscient et d’autres en focalisés.

    L’objectif derrière ? Il n’y en avait pas, j’avais juste envie de raconter des choses que l’héroïne ne voyait pas.

    Bref, je contournais grossièrement les difficultés de la narration principale que j’avais choisie. Et ça n’a pas loupé : tous mes bêta-lecteurs m’ont dit qu’ils étaient déroutés par ces passages, voire qu’ils ne les appréciaient pas du tout.


    3 : Sortir du point de vue principal sans s’en rendre compte

    Toujours dans les premières versions de Météorites, même dans les chapitres narrés du point de vue de l’héroïne, il m’arrivait parfois, au milieu d’une scène ou même d’un paragraphe, de me décaler sournoisement vers une autre narration.

    Parfois, je passais au point de vue d’un autre personnage. Par exemple :

    • « le capitaine avança une main prudente vers son épaule et la sentit trembler »
    • « ajouta-t-il en sentant quelques gouttes d’eau lui tomber sur le front »
    • Ou encore en désignant l’héroïne par des expressions comme « son interlocutrice » ou « son épouse »

    Dans d’autres passages, je basculais sur une narration omnisciente, en tout cas beaucoup moins focalisée :

    • Soit en expliquant des choses que l’héroïne était censée savoir : « Directeur de la Chambre Impériale d’Astrologie, Lord Orys était contraint de consacrer l’essentiel de ses nuits à son observatoire, dans la ville haute de Camérampe »
    • Soit en faisant intervenir un narrateur extérieur, capable de voir plus de choses que l’héroïne : « fit Vïnchka sans remarquer la déception dans les yeux de son interlocutrice »
    • Soit en l’appelant « la jeune femme » ou « la gazetière » au lieu d’utiliser son prénom ou le pronom « elle »

    Pour le lecteur, ce type de maladresse au détour d’une phrase peut être encore plus dérangeant qu’un chapitre entier avec un autre point de vue.

    En effet, ça crée une rupture dans la lecture et dans l’immersion, ce qu’il faut éviter au maximum. Le lecteur peut froncer les sourcils, arrêter de lire et se dire « Tiens, mais on est dans la tête de qui, là, en fait ? ».

    Dans ma grande liste de 600 et quelques corrections à la fin de l’écriture du 2ème jet, j’avais encore relevé 30 problèmes de narration de ce type.


    4: Utiliser des verbes de sensation

    Une autre de mes erreurs fourbes (car oui, en narration tout est affaire de détails perfides), qu’il m’arrive d’ailleurs de commettre encore si je ne fais pas attention, consiste à utiliser des verbes de sensation.

    Voir, entendre, sentir et tous leurs synonymes sont ici les ennemis.

    Ainsi, plutôt que d’écrire :

    « Vïnchka entendit le sifflement strident d’une locomotive. »
    ou
    « Vïnchka vit alors une ville étrange dans la brume »

    Il est plus immersif de dire :

    « Le sifflement d’une locomotive retentit dans la gare. »
    ou
    « Une ville étrange émergea de la brume. »

    Laisser de côté les verbes de sensation apporte à mon sens deux avantages :

    • En termes de narration, on reste « dans la tête » du personnage, on voit par ses yeux et on entend par ses oreilles, on partage toutes ses sensations. Cela fait qu’on se sent plus proche du personnage, ça renforce l’attachement et donc l’envie de savoir ce qu’il va lui arriver
    • En termes de style, on a l’opportunité de remplacer des verbes un peu faibles par d’autres plus dynamiques, ce qui permet de rendre le récit plus vivant

    Je prévois de faire une recherche générale de tous les « vit », « entendit », « sentit » et autres « aperçut » avant de boucler mon manuscrit.

    (Petite note complémentaire : ce conseil s’applique aussi aux verbes de pensée. « Marguerite se fit la réflexion que son gratin de courgettes manquait de goût » sera moins immersif que « Ce gratin était affreusement fade »)


    5 : Employer un style mélodramatique

    Ce dernier point n’est pas forcément lié à des questions de narration, pourtant à mon sens il est dans la continuité des points précédents.

    Je m’appuie sur « Comment éviter d’écrire de façon mélodramatique« , traduction et adaptation française d’un article du site Mythcreants, publié sur le blog de Scribbook. Le point de l’article est le suivant : souvent, les auteurs ont tendance à décrire les émotions du personnage en espérant les faire ressentir au lecteur. 

    Il bouillait de rage, son ventre se nouait, il suait à grosses gouttes, son cœur tambourinait dans sa poitrine, sa gorge se serrait, il serra les poings, elle pinça les lèvres, ses narines se dilatèrent, une ombre obscurcissait son esprit…

    Nous avons toutes et tous écrit, et lu, ce genre de phrases en abondance. Pourtant, elles gardent un aspect artificiel. Le lecteur comprend l’émotion, mais ne la ressent pas lui-même.

    Pour rendre la narration plus immersive et faire partager les émotions du personnage, il est plus intéressant d’expliquer POURQUOI il a les jambes qui flageolent et le cœur qui bat la chamade.

    Pour cela, il faut rappeler les enjeux de ce qu’il s’est passé ou va se passer.

    Voici un exemple :

    La sœur du héros est morte. Sa petite sœur chérie, celle à qui il offrait des bonbons en cachette de leurs parents dentiste, celle qui avait un sourire plein de trous mais immense. Sa petite sœur qui voulait lui prouver qu’elle n’avait peur de rien parce qu’il se moquait d’elle, sa sœur à qui il n’a pas dit que c’était si dangereux de sortir sur la plage, la nuit. Sa petite sœur ne sourirait plus jamais.

    Ces derniers temps, j’ai l’impression de trouver assez souvent dans mes lectures (et mes écrits) des envolées lyriques dont je commence à me lasser. Je trouve cette approche plus intéressante et plus puissante, c’est pourquoi je souhaitais vous la partager également.


    J’espère que cet article vous aidera vous aussi à vous défaire de vos mauvaises habitudes en narration !

    Pour aller plus loin, je vous recommande les articles suivants :

    Quelles sont les erreurs que vous faites le plus souvent ? Quels conseils pourriez-vous donner pour s’en débarrasser ?

    PS : Si vous souhaitez perfectionner votre maîtrise de la narration à travers des exemples et des exercices concrets, pour produire le meilleur effet possible sur vos lecteurs, ma formation « Formules magiques : 10 jours pour mettre au point votre style » pourra vous intéresser.


    Crédits image : Kelly Sikkema on Unsplash

    17 commentaires sur “Mes 5 plus grosses erreurs en narration”

    1. OMG, je me sens tellement concernée par le point 4 haha.
      J’aime beaucoup cet article, il va m’être super utile pour ma phase de correction !
      Dans Éclosions, je tombais beaucoup dans le point 3 et j’ai fini par sentir qu’il y avait un problème. Maintenant il est en attente que je me penche sur la question.

      1. Je suis vraiment ravie que ça puisse t’être utile !
        D’ailleurs je viens de rajouter une petite précision sur ce fameux point 4 : il faut se méfier aussi des verbes de pensée.
        Bon courage pour tes corrections !

    2. <3

      J'avais complètement oublié que c'est moi qui avait lancé notre débat à l'époque – après avoir moi-même vu ma vie et mes convictions ébranlées par les excellents articles de Stéphane Arnier 😉 En tout cas, bravo pour le chemin parcouru, il est particulièrement ardu mais tes textes n'en sont que meilleurs !

      Cela dit, je ne pense pas que le point 4 soit un conseil propre à la narration interne – ou, tout du moins, les exemples donnés ne me paraissent pas être les plus pertinents, dans la mesure où les phrases immersives que tu proposes ne détonneraient pas nécessairement dans une narration omnisciente (à mon sens). C'est évidemment moins vrai en ce qui concerne les pensées des personnages, ou certaines sensations, pour lesquelles il est parfois difficile de se passer de ces verbes faibles.
      J'irais même jusqu'à dire : puisqu'on est parfois obligés de les utiliser en narration omnisciente, il est d'autant plus important d'apprendre à les éviter quand on le peut.

      Enfin, en ce qui concerne le point 5… Ça reste mon principal défaut, je crois.

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    9. Bonjour Astrid, d’abord merci beaucoup pour tous tes articles et tes vidéos que tu partages gratuitement. C’est vraiment très utile! J’ai fait beaucoup de corrections sur mon premier manuscrit de roman grâce à tes conseils. J’ai quelques questions à te poser:
      1- lorsqu’on exprime que le personnage principal rougit (au point de vue interne le plus profond), comme le personnage ne se voit pas rougir, on doit écrire « elle sentait qu’elle rougissait » (mais du coup ça met de la distance?) car si on écrit « elle rougissait » c’est du point de vue externe? pareil pour « elle souriait jusqu’aux oreilles », c’est du point de vue externe du coup?

      2- toujours au point de vue interne: parfois je me mets à écrire directement les pensées du personnage principal en utilisant « je » par exemple « j’ai beaucoup travaillé aujourd’hui, pensa Julie », mais j’imagine qu’il vaut mieux rester à la troisième personne tout le temps et écrire « Julie avait beaucoup travaillé aujourd’hui » ? ou ça peut se faire d’ajouter des pensées à la première personne de temps en temps ?

      3- si Julie (personnage principal) est incluse dans un groupe, est-ce que je peux écrire « le groupe continua la visite » ou il faut préciser « Julie et le groupe » à chaque fois ?

      4- si elle assiste à un dialogue entre sa mère et sa tante, je mentionne « disait sa mère », « disait sa tante » mais au bout d’un moment j’ai l’impression que sa tante parle avec sa propre mère… du coup est-ce utile de repréciser « la mère de Julie »?… mais j’imagine que le lecteur s’en doute…

      Désolée, ça fait beaucoup de questions, merci mille fois d’avance si tu peux y répondre. En tout cas n’hésites pas à faire d’autres vidéos et articles sur la narration et les erreurs de débutants! Avec des analyses de romans connus je trouve ça très intéressant aussi!

      1. Bonjour Aurélia et merci pour toutes ces questions passionnantes !

        1 : Si le personnage rougit, tu peux tout à fait dire « elle se mit à rougir » (parce que généralement on sait qu’on rougit) ou quelque chose comme « une vague de chaleur lui monta au visage » (puisque quand on rougit, on a chaud).
        « Sourire jusqu’aux oreilles » ne me choque pas, puisque c’est une image. Tu peux aussi évoquer les pensées du personnage et montrer ce qui la rend si heureuse : le lecteur devinera qu’elle a un grand sourire.

        2 : Écrire les pensées à la 1ère personne se fait, on les met souvent en italique dans ce cas (et tu n’as pas forcément besoin d’ajouter l’incise « pensa-t-elle »). Personnellement je préfère l’éviter et rester à la 3e personne pour ne pas avoir de rupture, mais les deux sont acceptés.

        3 : Je pense que je dirais « Leur groupe poursuivit la visite » : le pronom possessif permet de rester dans le point de vue de Julie

        4 : Le plus clair serait sans doute d’utiliser le prénom de la tante (soit seul, soit « tante Machine », suivant comment Julie l’appelle). J’éviterais d’utiliser le prénom de sa mère, en revanche, si Julie ne l’appelle pas par son prénom. Mais tu peux aussi dire « la mère de Julie », en tout cas ça ne me choque pas.

        Tout ceci étant dit, la narration n’est pas une science exacte, tu trouveras peut-être parfois d’autres formulations qui sont acceptées 😉

        Encore merci pour ton commentaire, je suis ravie de t’aider !

        1. Bonjour Astrid,

          merci beaucoup pour ta réponse très rapide. Tout est très clair, c’est super d’avoir des conseils de ta part. J’ai envoyé mon manuscrit aux murmures littéraires ce matin, j’espère que j’aurai une fiche de conseils de leur part… apparemment ils ont reçu déjà beaucoup de manuscrits. Et merci encore pour l’info qui était dans ta newsletter que j’adore!
          As-tu des livres à conseiller (plutôt urban fantasy) avec une narration interne à la troisième personne profonde? J’aimerais m’inspirer et analyser de bons exemples…
          merci encore

        2. PS: ta passion est vraiment communicative et ça me donne envie de me booster pour vivre mes rêves aussi! tes articles et vidéos sont super motivants. Je te souhaite plein de réussite dans tes projets. (je viens de lire ta newsletter de ce matin)

          1. Merci Aurélia, ton message me touche énormément ! Je te souhaite beaucoup de réussite aussi avec ton roman et je croise les doigts pour les murmures littéraires 🙂
            Pour les conseils de livres, je lis peu d’urban fantasy mais je crois que « Les Sœurs Carmine » d’Ariel Holzl était très bien dans le genre. Sinon, je trouve plus souvent ce type de narration chez des auteurs anglo-saxons, comme Brandon Sanderson dans « La Voie des Rois » ou Robin Hobb dans « Les Aventuriers de la Mer » (mais c’est plus de la fantasy classique).

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