Dans un précédent article, je vous ai présenté les différents types de narration d’un roman : extradiégétique ou intradiégétique, présentation ou représentation, première ou troisième personne, focalisé ou omniscient, passé ou présent, constant ou alterné… À présent que vous connaissez l’éventail des possibles, comment choisir la narration de votre roman ?
Le choix de la narration va impacter chaque page de votre récit : ce n’est donc pas une décision à prendre à la légère. L’identité du narrateur et les informations auquel il (ou elle) aura accès seront déterminants pour votre intrigue comme pour le thème du roman. Chaque option vous donnera certains avantages, mais vous fera aussi faire des sacrifices.
Qui raconte l’histoire ? Identifier le narrateur de son roman
La première question à se poser est de savoir quel(s) personnage(s) va(vont) raconter l’histoire. Plusieurs candidats sont possibles :
- Le protagoniste, c’est-à-dire celui qui vit le plus de conflit, dont l’objectif dirige l’intrigue et qui lutte contre l’antagoniste – ou les protagonistes, s’il y en a plusieurs
- Le personnage principal, qui est le sujet de l’histoire (NB : protagoniste et personnage principal peuvent être confondus, mais pas toujours – par exemple, dans le film Amadeus de Milos Forman, Salieri est le protagoniste tandis que Mozart est le personnage principal)
- L’antagoniste
- Un proche du protagoniste, qui sera présent dans l’essentiel des scènes importantes
- Une entité extérieure
- …
Facteurs à prendre en compte dans le choix du narrateur
1 : Les informations à transmettre au lecteur.
Plus le narrateur est impliqué dans l’histoire et plus il aura « la vue courte ». On ne pourra pas donner d’informations que le personnage ne connaîtra pas lui-même. Cela peut être utile quand on souhaite préserver une part de mystère.
À l’inverse, un narrateur extradiégétique ou hétérodiégétique pourra plus facilement renseigner le lecteur sur tout ce qu’il se passe dans l’histoire, auprès des différents personnages, dans tous les recoins de l’univers, voire raconter la fin à l’avance. De même, un narrateur à la première personne écrivant ses mémoires aura du recul sur tout ce qu’il aura vécu.
En revanche, ces types de narrateurs limitent le suspense. Dans le cas des mémoires, le fait que le narrateur soit encore vivant pour les écrire donne ainsi un sérieux indice au lecteur sur sa capacité à survivre aux dangers rencontrés au cours du récit.
2 : La personnalité du narrateur.
Le lecteur s’attachera plus facilement à un narrateur sympathique. À l’inverse, si le protagoniste de l’intrigue a une personnalité étrange ou fascinante, il sera intéressant de choisir un autre narrateur pour garder un peu de distance avec ce protagoniste et préserver son mystère.
Par exemple, dans Gatsby le Magnifique, c’est Nick Carraway et non l’étonnant Gatsby qui raconte l’histoire. Dans Sherlock Holmes, c’est le Docteur Watson qui a la parole. Ce choix a d’ailleurs le double avantage d’éviter au lecteur de supporter constamment l’arrogance de Sherlock et de conserver le mystère sur la résolution de l’enquête.
N.B. : la question de la sympathie du narrateur peut fonctionner dans les deux sens. Employer une narration très immersive, comme la première personne, peut être la seule façon de rendre attachant un protagoniste bourré de défauts, comme le Benvenuto Gesufal de Gagner la Guerre. Dans ce cas précis, Jean-Philippe Jaworski a aussi ajouté une louche d’éloquence et, dans une certaine mesure, de transparence dans la façon dont ce narrateur bien particulier s’adresse au lecteur.
3 : La voix du narrateur
Dans la mesure du possible, le narrateur devrait être celui dont la voix est la plus distincte et la plus travaillée. Cela est particulièrement le cas pour la narration omnisciente ou à la première personne. Cette voix n’a pas besoin d’être particulièrement flamboyante, mais au moins de sortir de l’ordinaire, d’être remarquée à travers des expressions ou des façons de penser spécifiques, d’exprimer la personnalité du personnage.
Combien de narrateurs choisir ?
Le choix du nombre de narrateurs a également son importance. Avoir plusieurs narrateurs (plusieurs « personnages point de vue ») permet naturellement de donner plus d’informations au lecteur, mais aussi d’explorer la personnalité et l’évolution de différents personnages. C’est également le cas du point de vue omniscient.
De plus, cela peut permettre de créer une ironie dramatique, c’est-à-dire le procédé qui consiste à mettre le lecteur au courant d’une information qu’au moins l’un des personnages ignore, cette ignorance créant du conflit (ou étant susceptible d’en provoquer). L’ironie dramatique peut générer des effets comiques ou bien tragiques. Elle est satisfaisante pour le lecteur, parce que ça fait toujours plaisir d’être mis au courant d’un petit secret, et crée un nouveau type de suspense : quand et comment le personnage va-t-il découvrir la vérité ?
Mais attention, trop multiplier les narrateurs a aussi ses défauts. On risque par exemple de casser le suspense de l’histoire, ou bien de limiter l’identification du lecteur avec le protagoniste. Voire de donner l’impression que celui-ci est idiot parce qu’il fait des mauvais choix, faute d’en savoir autant que le lecteur. L’abondance de narrateurs peut aussi donner le sentiment d’un manque de cohérence d’ensemble.
Privilégiez la simplicité et concentrez-vous sur les personnages les plus importants de l’histoire.
Enfin, le genre de l’histoire peut influencer le nombre de narrateurs. Il n’est pas rare d’avoir deux personnages point de vue en romance et davantage en fantasy épique.
Comment l’histoire est-elle racontée ? Choisir le mode de narration
Décider du type de narration de son roman est, là encore, un choix à faire consciemment en fonction des effets qu’on souhaite produire et des décisions qu’on a déjà prises quant à l’identité du narrateur.
La différence entre ces options relève de la distance narrative entre le lecteur et le protagoniste. Certaines options comportent des pièges dont il est important d’être averti.
Si on souhaite… :
> Obtenir le maximum d’immersion dans la tête du protagoniste
La narration à la première personne est à privilégier. C’est elle qui permet le maximum de proximité et de complicité, donc de créer un attachement fort à l’égard du personnage. Attention, toutefois, à ne pas laisser le protagoniste se laisser aller au mélodrame (quand il se lamente sur ses propres problèmes) ou à la vanité.
La troisième personne limitée, sans aller jusqu’à l’immersion de la première personne, offre aussi une perspective rapprochée. Non seulement le lecteur partage les pensées du personnage, mais aussi ses perceptions. Tout ce que le lecteur apprend et perçoit de l’univers est teinté par les sentiments, les biais et les connaissances du personnage.
À l’inverse (et contrairement à ce qu’on pourrait penser), un narrateur omniscient ne permet pas cette fusion : il ne peut qu’observer le personnage de l’extérieur et n’est pas censé partager ses pensées en direct. Le lecteur étant moins immergé dans l’histoire et moins attaché aux personnages, il y a un risque plus important qu’il s’ennuie.
> Adopter un ton humoristique ou pédagogique
(Pensez Terry Pratchett ou Lemony Snicket pour le premier cas, histoires pour enfants pour le deuxième).
La distance créée par un narrateur omniscient sera utile. Elle permet de prendre du recul par rapport aux personnages et de dédramatiser leurs aventures. Le narrateur peut même s’adresser directement au lecteur et créer une complicité avec lui.
> Que le narrateur cache des informations au lecteur
Mieux vaudra choisir une narration omnisciente, ou bien à la première personne (avec un narrateur non fiable). Dans une narration à la troisième personne, il est plus difficile de cacher les pensées du personnage dont on partage le point de vue.
> Utiliser une prose très travaillée, lyrique, voire poétique
Le narrateur omniscient sera plus adapté pour prendre son temps sur les descriptions. C’est la narration qui va le plus raconter et le moins montrer. C’est le contraire d’une narration à la première personne, où le protagoniste a, a priori, moins de raison de s’y attarder.
Si vous avez plutôt un style sobre et sans fioriture, la troisième personne limitée sera préférable. Ce serait d’ailleurs dommage d’utiliser un narrateur omniscient si celui-ci était tout à fait transparent.
> Utiliser l’ironie dramatique
Comme on l’a vu plus haut, la première personne dans sa version « mémoires » ou le narrateur omniscient seront les meilleurs alliés pour utiliser l’ironie dramatique
> Créer du suspense, de l’incertitude quant à ce qu’il va se produire
La première personne (au présent ou bien dans un passé présenté de façon « cinématique ») ou la troisième personne focalisée sont les meilleures solutions.
Retrouvez le détail des différents types de récits à la première personne
> Avoir plusieurs narrateurs
L’usage de la troisième personne sera le plus simple (qu’on choisisse le point de vue omniscient ou l’alternance de points de vue focalisés).
Avoir de multiples narrateurs en utilisant la première personne est possible, mais plus difficile à mettre en œuvre, car chacun devra avoir une voix très spécifique et reconnaissable.
> Mettre l’accent sur l’action
Le meilleur choix sera celui de la troisième personne focalisée. C’est la narration la plus transparente et le lecteur a presque l’impression qu’il n’y a pas de narrateur, ce qui facilite son immersion dans l’histoire. On est généralement dans la représentation et non dans la présentation
Retrouvez la distinction entre présentation et représentation.
> Si vous débutez et que vous êtes complètement perdu
Je vous conseillerais de choisir par défaut la troisième personne focalisée. C’est la narration la plus couramment utilisée. Elle présente assez peu de contraintes ou de risques d’être mal employée, puisqu’elle laisse la possibilité d’avoir plusieurs narrateurs et n’impose pas d’avoir un style très travaillé.
Attention toutefois à bien choisir votre niveau de focalisation (resserré ou profond) et à vous y tenir !
Et pour ce qui est du temps ?
Là encore, même si l’usage du présent se répand de plus en plus (notamment dans le genre Young Adult), la manière la plus simple de raconter une histoire est d’utiliser le passé. Petit rappel pour ceux qui ont oublié leurs cours de grammaire : on emploie le passé simple pour l’action et l’imparfait pour les descriptions, pas le passé composé)
J’espère que cette série d’articles vous a permis d’y voir plus clair, de mieux comprendre les enjeux qu’il y a à choisir une narration plutôt qu’une autre, et de déterminer celle qui est la plus adaptée à votre histoire.
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Quel est votre type de narration préféré, en tant qu’auteur et en tant que lecteur ? Venez en discuter en commentaire !
C’est vraiment très bien de voir d’autres blogueurs aborder ce sujet capital : il faut que les auteurs novices cessent d’écrire sans savoir quelle narration ils utilisent. C’est un article touffu mais plutôt complet. Beau boulot ! 🙂
Merci Stéphane ! Je te dois beaucoup sur le sujet 😉
Et moi je dois beaucoup à d’autres. Propageons la connaissance ! 🙂
Orson Scott Card, si tu nous lis… 😉
Une grosse mention spéciale à Chris Winkle de Mythcreants, aussi : Card a été le premier à me faire toucher du doigt certains concepts de base de narration, mais ce sont les articles de Chris Winkle qui m’ont vraiment fait comprendre les fondamentaux. Rendons à César, etc.
🙂
Tout à fait ! Souvent je jalouse les anglo-saxons d’être tellement mieux éduqués que nous à ces principes, mais c’est génial d’y avoir accès aussi
Super article, merci (et qui complète bien ceux de Stéphane ^^). Le tableau à la fin est génial pour visualiser toutes ces notions 👍
Merci, ça me fait très plaisir qu’il te plaise ! Ça fait des semaines que je cogite dessus 😅
Salut Astrid,
C’est du lourd, du très très lourd. Quel boulot de synthétisation, quelle clarté! Et cette infographique qui résume tout en un coup d’oeil, il fallait y penser!
Bravo
Merci beaucoup 😊😊 Super contente que ça soit utile
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