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Passion opéra : La Flûte enchantée, conte fantastique

    Comment prendre le contre-pied des attentes du lecteur – ou du spectateur ? Voici le retour de ma série sur les opéras qui m’ont inspirée, cette fois consacrée à l’analyse de La Flûte Enchantée ! Vous pouvez retrouver les premiers épisodes sur La Traviata, de Verdi, et La Belle Hélène, d’Offenbach.

    La Flûte Enchantée (ou Die Zauberflöte dans sa version originale) est l’un des opéras les plus célèbres de Mozart, notamment à cause du fameux air de la Reine de la Nuit. Il est aussi évoqué dans le film Amadeus, de Milos Forman – film qui est un petit bijou sur la vie de Mozart, courez le voir si vous ne le connaissez pas. L’opéra a été créé en septembre 1791, 3 mois avant la mort de Mozart, et son livret a été rédigé en allemand par Emanuel Schikaneder : chanteur, acteur, poète et directeur de théâtre.

    Il relève d’un genre particulier puisque ce n’est ni l’adaptation d’un roman ou d’une pièce de théâtre, ni l’évocation d’un fait historique célèbre. On est bien plutôt dans l’univers du conte et des allégories, puisque l’histoire met en scène la lutte du Bien contre le Mal, de la Vérité contre le Mensonge, des Lumières contre les ténèbres de la nuit. On n’est pas au Siècles des Lumières pour rien. C’est un opéra qui est souvent doté d’une mise en scène complexe, de costumes et de décors spectaculaires, comme l’illustrent ces images d’une représentation donnée lors de l’édition 2013 du Festival de Bregenz, où ils avaient carrément construit une île sur le Lac de Constance (!).

    La Flûte Enchantée est aussi bien connue pour être une œuvre très inspirée par la franc-maçonnerie et riche de symboles maçonniques. N’étant pas du tout une experte en la matière, je relèverai seulement le thème du parcours initiatique vers la Sagesse, le symbole de la trinité et du chiffre 3, et les premiers accords qui évoquent les coups frappés à l’entrée de la loge.

    Au point de vue narratif, ce que cet opéra a d’intéressant est l’inversion complète des valeurs et des croyances du héros (et donc du spectateur) entre la première partie et la fin de l’histoire. La grande reine désespérée se révèle être une sorcière ténébreuse, tandis que l’homme qui avait sournoisement enlevé sa fille apparaît comme un sage qui ne veut que faire le bien.

    Vous êtes partants pour découvrir cette histoire ? Alors cliquez ici pour écouter l’opéra.

    (Et là, c’est le moment où tous ceux qui ont fait comme moi Allemand en première langue au collège tiennent enfin leur revanche)

    L'opéra "La Flûte Enchantée" de Mozart


    Une histoire classique : sauver la princesse

    S’il y a une chose que j’adore par-dessus tout dans cet opéra, c’est son ouverture. Les premières notes, imposantes, majestueuses. Puis la mélodie qui s’installe en douceur, avec quelque chose de mélancolique, dans les tons mineurs… Et puis l’accélération soudaine de l’allegro, cette fantaisie teintée de folie qui nous entraîne dans un tout autre monde, cette cavalcade qui monte en puissance, part dans tous les sens et éclate en un tourbillon de musique. Le ton est donné : l’histoire alternera entre solennité et légèreté. Chaque fois que j’écoute ces notes, je me rappelle pourquoi Mozart est mon compositeur préféré.

    Le premier air intitulé « Zu Hilfe! Zu Hilfe! » (A l’aide, à l’aide !) est un appel au secours lancé par un prince, Tamino, qui se retrouve perdu en pays étranger et poursuivi par un terrible serpent. Alors qu’il s’évanouit de terreur, trois femmes apparaissent et le sauvent… puis restent éblouies par la beauté du jeune homme. Elles sont les dames d’honneur de la Reine de la Nuit et partent (à regret) avertir leur maîtresse de l’événement. Resté seul, Tamino fait la connaissance de Papageno, un oiseleur (chargé d’attraper des oiseaux) dont le rêve est d’attirer un tas de filles dans ses filets pour rencontrer la femme de sa vie. Un précurseur de Tinder, en somme. Son air « Der Vogelfänger bin ich ja » est également très connu, avec sa petite flûte de pan. Au milieu de cet premier acte plein d’aventures, Papageno incarne l’humour et la désinvolture.

    Les trois dames reviennent et se présentent, puis remettent à Tamino le portrait d’une ravissante jeune fille : Pamina, la fille de la Reine de la Nuit. Celle-ci apparaît alors, dans un air (« O Zittre nicht », « Ô, ne tremble pas ») que je trouve encore plus beau et plus phénoménal que l’autre qui est plus connu. La Reine, éplorée, explique à Tamino que sa malheureuse fille est retenue prisonnière d’un homme maléfique, Sarastro. Elle charge Tamino d’aller la délivrer, et lui promet en échange de la lui donner en mariage dans un concert de vocalises époustouflants. Complètement ébloui, le jeune homme accepte sa mission. C’est alors que les dames d’honneur lui remettent la fameuse flûte enchantée pour le guider et le protéger, et lui donnent Papageno pour compagnon (lui reçoit un carillon).

    À ce stade de l’histoire, Tamino (et le spectateur avec lui) a toutes les raisons de croire qu’il va œuvrer pour la bonne cause : il vole au secours d’une jeune fille sans défense, arrachée à sa mère par le perfide Sarastro, et d’ailleurs elles sont quand même gentilles toutes ces dames avec leurs cadeaux magiques. On est dans le schéma narratif le plus classique du monde : le prince part secourir la princesse retenue dans sa tour par un dragon (ou presque).

    L’inversion des valeurs

    Tamino et Papageno se séparent pour trouver le château de Sarastro, ce qui n’est pas une bonne idée puisque l’oiseleur est le premier à retrouver Pamina. Il lui rend espoir en lui apprenant qu’un prince est à sa recherche pour la délivrer, et ils s’enfuient ensemble pour échapper à l’affreux Monostatos, un serviteur maure qui harcèle Pamina (on appréciera la petite touche de racisme au passage). Pendant ce temps, Tamino est guidé par trois petits génies qui l’encouragent. Il tente d’entrer dans les temples de la Sagesse, de la Raison et de la Nature. Mais là, surprise : des prêtres lui révèlent que Sarastro n’est pas le monstre qu’il croit, mais un grand sage. Perturbé, Tamino essaie de rejoindre Papageno en jouant l’un de la flûte, l’autre du carillon. La détresse de Tamino dans sa recherche éperdue de Pamina est rendue dans l’air « Nicht Dein Zauberton », où le son de la flûte enchantée amène à lui toutes les bêtes sauvages mais pas, hélas, sa bien-aimée.

    Mais au moment où Papageno et Pamina apparaissent, Sarastro arrive en grande pompe avec une procession de prêtres ! Alors que Pamina se résout à tout lui avouer au nom du respect de la Vérité, Monostatos surgit en traînant Tamino qu’il a capturé. C’est enfin la rencontre des deux amoureux, qui se jettent dans les bras l’un de l’autre. Et au lieu de les arrêter, Sarastro décide de les conduire au Temple des Épreuves avec Papageno – et de faire fouetter Monostatos au passage.

    L’acte I se termine sur cette scène ambiguë. La Reine de la Nuit est-elle la traîtresse que Sarastro dénonce ? Tamino et Pamina seront-ils de nouveau réunis ? Papageno trouvera-t-il enfin une copine ? Gros suspense.

    Le temps des épreuves

    Dans l’acte II, le Temple des Epreuves a vocation à tester les qualités des trois héros et à déterminer s’ils sont dignes d’accéder au bonheur. Si Tamino s’en sort plutôt honorablement, Papageno se montre plus faible. Quant à Pamina, elle est soumise à un choix terrible. Car sa mère apparaît dans un coup de tonnerre ! Et, lui tendant un poignard, elle la somme de tuer Sarastro sous peine de la renier pour toujours ! C’est l’air le plus connu de l’opéra, « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » (La vengeance de l’Enfer bouillonne dans mon cœur), où la Reine de la Nuit invoque toutes les puissances des ténèbres et tous les dieux vengeurs. Ne vous laissez pas flouer par l’innocence de ces notes aériennes : c’est un ultimatum sans pitié.

    Pamina en sort bouleversée. Elle a désormais trop d’estime pour Sarastro, et trop de dégoût envers l’idée de commettre un meurtre, pour obéir à sa mère. Elle tente d’approcher Tamino, mais celui-ci a fait un vœu de silence dans le cadre de ses épreuves et ne peut lui répondre, ce qui laisse croire à la pauvre Pamina qu’il ne l’aime plus. Désemparée, elle chante son chagrin dans un air très poignant, « Ach, Ich Fühl Es » (Ah ! Je le sens), et va jusqu’à évoquer des idées de suicide.

    De son côté, Papageno est toujours tourmenté par son désir de trouver une compagne. Une vieille femme apparaît, le menace, lui arrache la promesse de l’épouser, puis se transforme en une belle jeune femme avant de disparaître. De quoi perturber encore davantage notre pauvre Papageno, qui n’a pas réussi ses Épreuves. Le monde de Sarastro n’est simple pour personne !

    Amour, Gloire et Beauté

    Enfin, Pamina est réconfortée par les trois génies qui avaient guidé Tamino. Elle le rejoint et l’accompagne dans ses dernières épreuves, dont ils sortent triomphants. Quant à Papageno, son carillon magique lui permet enfin de trouver sa chère Pa(papa…papapapa…papapapa…papapapapa)pagena, et de convoler joyeusement avec elle en rêvant à tous les petits Papagenos et petites Papagenas qu’ils auront bientôt.

    La Reine de la Nuit, elle, tente une dernière tentative (« Nur Stille, Stille, Stille ! », « Allons Doucement, Doucement, Doucement ! ») avec ses trois dames et Monostatos qui les a rejointes par dépit. Mais ils sont dispersés par la Lumière qui tombe du ciel tandis que Sarastro et le chœur des prêtres chantent la louange des heureux élus, de la force, de la beauté et de la sagesse.

    (ah non pardon)

    Cet opéra est vraiment particulier dans sa construction narrative, qui a une vraie visée pédagogique. Là où La Traviata met en scène un destin tragique et inéluctable, et où La Belle Hélène s’amuse à pointer du doigt les faiblesses humaines et leurs ridicules, La Flûte Enchantée a vocation à élever ses spectateurs autant que ses personnages. Elle montre que les apparences peuvent être trompeuses, que les préjugés doivent être affrontés et que le bonheur se mérite.

    Ce que j’apprécie cependant, c’est que l’histoire ne se limite pas à cet aspect moralisateur : l’amour y tient une vraie place, qu’il s’agisse du sentiment noble qui unit Tamino et Pamina, ou même des désirs plus terre-à-terre et plus simples du couple Papageno. Dans un cas comme dans l’autre, l’amour est à la source de douleurs et d’épreuves, parfois de désespoir. Mais c’est aussi l’amour qui offre aux personnages l’occasion d’une rédemption, de devenir la meilleure version d’eux-mêmes ♥ C’est un sentiment purificateur. Le fait qu’un opéra se termine bien est suffisamment rare pour être souligné !

    Enfin, la dimension féérique apporte une touche très personnelle à cette œuvre. D’ailleurs, je préfère le début de l’opéra à la fin car le monde de la Reine de la Nuit est bien plus fantasque que les Temples rébarbatifs de Sarastro. Entre le serpent géant du début, les trois dames qui le combattent, ce drôle d’oiseleur un peu roublard, l’éblouissante Reine, les objets magiques, on est dans une dimension très imaginaire, pleine de dangers et d’aventures.

    Le monde de Sarastro, lui, est bien plus sérieux, plus psychologique aussi, en tout cas moins amusant. On notera d’ailleurs que le camp du bien est représenté par un homme et ses prêtres, tandis que la femme puissante est forcément l’incarnation du mal 😉


    Et vous, induisez-vous vos lecteurs en erreur ? Vous arrive-t-il de donner de fausses informations au personnage principal, de lui faire prendre des fausses pistes ?

    N’hésitez pas à me donner votre avis, et dites-moi quel autre opéra vous aimeriez que j’évoque la prochaine fois 🙂

    Crédits images : Moulin Rouge de Baz Luhrmann, et Alex Mihai C on Unsplash

    0 commentaire pour “Passion opéra : La Flûte enchantée, conte fantastique”

    1. Ça m’a rappelé que Marion Zimmer Bradley reprend également cette histoire dans son roman «La Princesse de la nuit». Il y a quelques petites différences, notamment le fait qu’elle fasse de Sarastro le père de Pamina. Il me semble que ça ajoutait de la complexité à certains personnages… Mais je ne m’en rappelais même plus avant de lire ton article :p

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