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Passion opéra : La Traviata, la puissance du tragique

    Comment utiliser l’opéra comme source d’inspiration en écriture ? Voici le premier article de la série que j’ai décidé de lancer sur mes opéras préférés, à commencer par La Traviata de Verdi.

    Pourquoi écrire cette série ? Parce que j’adore l’opéra, et que c’est un art qui est souvent soit mal connu, soit mal perçu. L’opéra a la réputation d’être long, vieillot, ennuyeux, compliqué, snob, prout-prout ; des heures interminables à écouter des chanteurs engoncés dans des costumes d’époque roucouler en braillant.

    En fait, non. Enfin, pas tout le temps 😉

    Les opéras, ce sont aussi des histoires, de l’amour, de l’ambition, de la passion, de la jalousie, des mensonges, des trahisons, de l’humour, du rêve, du fantastique, bref, des romans. Et les romans, c’est pour ça qu’on est là, non ?

    (Je signalerai le vocabulaire technique avec un astérisque pour vous donner les définitions en bas de page.)

    alessia-cocconi-669983-unsplash-traviata


    D’où est venu mon amour pour l’opéra ?

    Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques mots sur les raisons qui m’ont sensibilisée à cet art et à la musique classique en général.

    Il y a une certaine tendance familiale. Mon grand-père aimait beaucoup l’opéra. Pour l’un de ses anniversaires, on avait remixé des airs célèbres de l’opérette* La Belle Hélène d’Offenbach à la sauce familiale. Pour un autre, mes cousins avaient fait une parodie du Lac des Cygnes, et nous une reprise du célèbre french cancan d’Orphée aux Enfers (d’Offenbach, toujours) (quel petit rigolo, cet Offenbach).
    Mes parents aiment aussi l’opéra depuis longtemps, en ont vu un certain nombre en nous emmenant parfois, et ont une certaine collection de CDs chez eux (que j’ai pu piller plus ou moins discrètement).

    Il y a aussi le film Amadeus de Milos Forman, un de mes préférés, qui raconte la vie de Mozart à travers les yeux jaloux de son rival, Antonio Salieri. Ce film nous baigne dans la musique somptueuse de Mozart du début à la fin d’une histoire rocambolesque et tragique, depuis les triomphes de Mozart devant l’Empereur d’Autriche jusqu’à sa mort précoce dans la misère. Mozart, c’est le meilleur ♥️

    Affiche du film "Amadeus" de Milos Forman sur la vie de Mozart

    Enfin, la dernière chose qui m’a fait tomber dans marmite étant petite, c’est la chorale de mon collège. Je chante encore avec plus ou moins les mêmes 18 ans plus tard 😊 Nos concerts m’ont fait découvrir de nombreux chefs-d’œuvre : Requiem* de Mozart ou de Fauré, Messie de Haendel, Gloria* de Vivaldi, Création de Hayden, cantates* de Bach, motets* de Saint-Saëns, messes de Schubert, et j’en passe. C’est assez addictif une fois qu’on commence.
    Tenez, écoutez par exemple mon chouchou : le Gloria de la Messe du couronnement (de Mozart, évidemment).

    Bref, le chant et la musique, c’est merveilleux.


    Et La Traviata dans tout ça ?

    La Traviata est un opéra du compositeur italien Giuseppe Verdi, créé en 1853 d’après le roman La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils. J’aime tellement cet opéra que pendant deux ans, le prélude a été ma sonnerie de réveil (c’était chouette).

    Ma version de référence est celle chantée par Maria Callas.

    Allez-y, lancez la musique.

    Vous y êtes ?

    (Si vous avez l’occasion, j’aime aussi beaucoup la version filmée avec Teresa Stratas et Placido Domingo)

    la traviata

    L’opéra, en général, c’est l’histoire d’une soprano* et d’un ténor* qui sont amoureux, et d’un baryton* qui veut les empêcher d’être ensemble 😉. La Traviata n’échappe pas à la règle.

    L’histoire se passe à Paris, au début du Second Empire (ce qui donne lieu à des décors et des costumes magnifiques). Violetta, une jeune et belle courtisane qui ne connaît qu’une vie mondaine effrénée, rencontre pour la première fois de sa vie un homme qui l’aime sincèrement, Alfredo. Elle en tombe aussi amoureuse et accepte de renoncer pour lui à sa vie d’avant, d’arrêter les bals et de s’installer à la campagne avec lui. Mais la société du XIXeme siècle est très pointilleuse, et le fait qu’Alfredo fréquente une femme à la réputation aussi sulfureuse est très mal vu par sa famille. Il est inimaginable qu’ils se marient, car ils sont de milieux trop différents. Le père d’Alfredo rend visite à Violetta pour lui demander de rompre avec lui. Le cœur brisé, Violetta accepte pour le bien d’Alfredo et, sachant qu’il ne voudra pas renoncer à elle, elle lui fait croire qu’elle le quitte pour un autre.

    Le sacrifice de Violetta est d’autant plus grand qu’elle est atteinte de tuberculose et n’a plus que quelques semaines à vivre. Au dernier moment, Alfredo apprend par son père que Violetta l’aime toujours et accourt à son chevet. Mais hélas, il est trop tard, et Violetta meurt dans ses bras.

    (Est-ce ma passion pour le film Moulin Rouge qui a entraîné celle pour La Traviata ou l’inverse, honnêtement je ne sais pas)


    La force d’une histoire irrémédiablement tragique

    L’air le plus connu de La Traviata est un joyeux toast au début du premier acte (« Libiamo ne’ lieti calici (Buvons dans ces joyeuses coupes) ») mais ce n’est pas mon préféré. La vraie force de cette histoire tient en effet aux moments de poésie et de tragédie. Même en connaissant ce qui va arriver, je trouve cette fin tellement triste que j’espère à chaque fois que les choses vont se passer différemment.

    • Quand Alfredo avoue son amour à Violetta, de façon tendre et discrète, alors qu’elle n’a connu jusque là que des hommes qui la payent et la paradent dans des bals (« Un di, felice, eterea (Un jour, heureuse, sublime) »). Un air dont on ne peut que tomber amoureux(se)
    • Quand Violetta, seule et troublée, hésite entre céder à cet amour ou persévérer dans sa vie de plaisirs incessants et insensés (« Follie, Follie ! Delirio vano è questo ! … (« Folies ! Folies ! Ce n’est qu’un vain délire ! … »). C’est la première fois de sa vie qu’elle se pose ces questions, et c’est un point de non-retour pour le personnage. C’est aussi son premier sacrifice (mais pas le dernier)
    • L’acte II, avec la confrontation entre Giorgio Germont (le père d’Alfredo) et Violetta, est l’un de mes passages préférés car les deux personnages évoluent beaucoup à travers ce dialogue. Au début, Germont est brutal voire carrément insultant, pensant qu’elle n’est avec Alfredo que pour son argent, et Violetta lui oppose un refus plein de dignité. Au contraire, c’est elle qui se ruine pour rester avec lui. Germont comprend alors qu’il n’a pas affaire à une courtisane de bas-étage, et lui accorde son estime.
      Il lui explique son problème : Alfredo a une petite sœur adorable (« Pura siccome un angelo (Pure comme un ange) ») qui doit se marier, mais le mariage serait annulé si Alfredo continuait à ruiner la réputation de la famille en restant avec Violetta. Celle-ci propose un compromis qui lui coûte déjà (rester à distance d’Alfredo pendant quelques temps), mais ce n’est pas suffisant : elle doit renoncer à lui pour toujours. L’idée est atroce pour elle, d’autant qu’elle se sait malade et n’a ni ami ni famille pour s’occuper d’elle. Germont la supplie de sauver sa famille et le bonheur de ses deux enfants, et elle finit par accepter, la mort dans l’âme.

    Toute cette scène est très forte et très émouvante par son caractère inéluctable, presque une descente aux enfers pour Violetta. Ce qui est intéressant c’est que Germont apparaît d’abord comme un antagoniste, puis lorsqu’il lie une relation de confiance et d’estime avec Violetta et la remercie éperdument pour son sacrifice, on se rend compte que l’antagoniste est plutôt le Destin – on peut aussi accuser la morale de l’époque, bien sûr

    • Le tableau suivant est aussi l’un des plus beaux (en gros, considérez que mes scènes préférées englobent les deux-tiers de l’opéra). Violetta, après avoir laissé une lettre de rupture, se rend à une soirée parisienne au bras d’un de ses anciens amants. Mais Alfredo l’y retrouve ! Convaincu d’avoir été trahi, il fait tout pour se venger d’elle : d’abord il l’ignore et flambe au jeu, puis il provoque son amant en duel.
      La musique de ces passages est très nerveuse, tendue, on sent que chacun des personnages est sur le point d’exploser. D’ailleurs, Alfredo finit par craquer et demande à Violetta de s’expliquer. Cette scène est terrible, car on voit Violetta complètement déchirée entre son amour et la promesse qu’elle a faite pour sauver l’honneur d’Alfredo. De son côté, Alfredo est très blessé par leur rupture mais serait prêt à tout lui pardonner si elle repartait avec lui
    • Violetta ne veut pas trahir le père d’Alfredo et prétend qu’elle aime un autre homme. C’est un autre point de non-retour : Alfredo voit rouge et se conduit de façon infâme. Il traîne Violetta devant tous les invités de la soirée et lui jette de l’argent à la figure, comme si elle n’avait été qu’une courtisane pour lui. Violetta s’effondre sous le coup de l’émotion. Tous les invités sont outrés par la goujaterie d’Alfredo (même son père apparaît – magie de l’opéra – pour dire qu’il lui fait honte), et lui-même regrette aussitôt son acte. Mais trop tard.
      Dans cette scène, la passion et la colère d’Alfredo sont très impressionnantes, car elles montrent combien ce personnage, au caractère habituellement très doux, est bouleversé. Et malgré cette humiliation publique, Violetta révèle toute sa grandeur d’âme en pardonnant à Alfredo (mais sans qu’il l’entende… parce que le destin est tragique et que les compositeurs d’opéra sont cruels)
    • Le dernier sommet d’émotion arrive à la fin quand, des mois plus tard, on retrouve Violetta seule à Paris, ruinée et très malade. Son seul espoir, c’est que Giorgio Germont, pris par le remords, a tout avoué à Alfredo et que celui-ci court pour la rejoindre. Le médecin vient voir Violetta et essaie de la rassurer (même si en réalité, sa fin est proche). Mais Alfredo arrive ! Il est là ! Il court vers elle, la prend dans ses bras, enfin, c’est fabuleux, ils sont réunis, ils vont vivre ensemble, loin de Paris, Violetta va retrouver la santé, elle est sauvée, ils s’aiment comme jamais, tout va bien et…
      Violetta chancèle. C’est trop tard. La maladie a été la plus forte. Violetta tente de se relever mais s’effondre, morte, dans les bras d’Alfredo.

    Et c’est HORRIBLE. Et j’ai envie de pleurer À CHAQUE FOIS 😭. La cruauté de cette histoire est vraiment la pire, parce qu’on ne cesse jamais d’avoir un petit espoir, de se dire que c’est un malentendu, que ça va s’arranger, que ça va bien finir, parce que sinon ça serait vraiment trop affreux, et parce que Violetta mérite tellement d’être heureuse… mais non.

    C’est drôle, parce que souvent les romans ont une fin plutôt positive alors que les opéras préfèrent la tragédie. C’est vraiment intéressant de changer de style, de montrer des péripéties qui ne sont gratuites ni artificielles, et qui conduisent irrémédiablement vers la fin qu’on redoute.

    Dans cet art où les passions s’exacerbent, les sentiments déclamés dans de longs monologues peuvent paraître forcés ou artificiels, mais c’est à ça qu’on reconnaît les meilleurs : ce sont ceux qui nous transportent tellement qu’il n’y a pas une note de trop.


    Et vous, comment se termine votre histoire ? Si c’est une histoire positive, que donnerait-elle si vous la transformiez en tragédie ?

    J’espère que ce premier article de (ré)découverte de l’opéra vous a plu (en tout cas moi j’étais ravie de réécouter La Traviata en l’écrivant ^^) !

    N’hésitez pas à me dire en commentaire ce que vous en avez pensé, si vous voudriez que je présente les choses différemment, etc.

    On se retrouvera la prochaine fois avec mon 2ème opéra préféré dans un tout autre genre : La Belle Hélène d’Offenbach.


    Glossaire

    • Opérette : opéra au ton léger et humoristique, qui mélange les chants et les dialogues
    • Requiem : prière pour les morts dans la liturgie catholique
    • Gloria : prière de louange (« Gloire à Dieu »)
    • Cantate : pièce musicale à une ou plusieurs voix, accompagnée d’instruments ou d’un orchestre
    • Motet : composition généralement religieuse, à une ou plusieurs voix, avec ou sans accompagnement
    • Soprano : voix la plus élevée (plutôt voix de femme)
    • Ténor : voix d’homme plutôt aigüe
    • Baryton : voix d’homme plutôt basse

    Crédits image : Alessia Cocconi on Unsplash

    12 commentaires sur “Passion opéra : La Traviata, la puissance du tragique”

    1. Tiens, c’est une belle coïncidence ça, La Traviata est le premier opéra que j’ai vu joué 🙂
      Si je ne suis pas vraiment fan d’un opéra particulier, je le suis de certaines pièce et de la musique « classique » au sens large. Mais aussi de la tragédie au théâtre. Les tragédies d’Eschyle, d’Euripide et particulièrement celles de Sophocle, ont nourri mon imaginaire dès le berceau, alors c’est assez naturellement qu’on retrouve leur influence dans ma façon d’écrire et d’imaginer mes romans.
      En tout cas, cet article dans sa forme m’a beaucoup plu ! J’ai hâte d’en lire d’autres de cette série et de redécouvrir l’opéra à travers la passion que tu as pour lui 😉

      1. Merci beaucoup !! Ça me rassure, je n’étais pas sûre du tout que ce sujet puisse plaire. Je connais seulement de nom les tragédies classiques que tu cites, il faudrait que je m’y mette 🙂

    2. J’aime énormément l’histoire de La Traviata, j’adorerais tellement voir cet opéra en vrai ! Je n’ai assisté qu’à une seule représentation de Verdi, en Italie, il y a déjà longtemps…En tout cas je reconnais que pour moi aussi, le film Amadeus n’y est pas pour rien dans mon amour de l’opéra (je ne me lasse pas de ce petit chef-d’oeuvre…:) )

      1. Moi non plus, je le revois toujours avec autant de plaisir …
        Je te conseille la version filmée dont je parle dans l’article (elle est disponible en DVD), c’est vraiment une adaptation magnifique !

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