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Passion opéra : La Belle Hélène, comédie grecque

    La Belle Hélène, opéra-bouffe français de Jacques Offenbach, roi du genre, a été créé en 1864. C’est l’une des œuvres les plus connues de ce compositeur, qui est aussi l’auteur du fameux french cancan dans Orphée aux Enfers. Mais nous sommes ici pour parler de La Belle-Hélène ! Cet opéra était l’un des préférés de mon grand-père, on en détournait souvent des airs pour ses anniversaires, et je pense que mes frères et sœur ont dû vouloir m’assommer tant je l’ai écouté quand j’étais petite. Ma version de référence est celle chantée par Jessye Norman, que vous pouvez écouter ici.

    Dans cet article, je m’inspire à nouveau des schémas narratifs et des histoires racontées dans les opéras pour trouver l’inspiration.

    Retrouvez le premier épisode ici : La Traviata, la puissance du tragique

    (Décidément j’adore écrire ces articles sur mes opéras préférés et avoir l’occasion de les réécouter 🙂)

    Comme la dernière fois, je vous invite à lancer la musique !

    La Belle Hélène, d'Offenbach

    Psst : il y a des actualités sur la sortie de mon roman Le Page de l’Aurore ! Si vous voulez en savoir plus, inscrivez-vous vite à ma lettre d’information La StreetLetter pour recevoir toutes les infos en exclusivité.


    Présentation : Du tragique au comique

    Le thème de La Belle Hélène est assez évident : il est question de la guerre de Troie. Ou plutôt, des événements qui y ont conduit, à savoir la séduction et l’enlèvement de la reine Hélène de Sparte par le prince Troyen Pâris. Ce qui fait la magie de cet opéra et qui le rend toujours aussi appréciable à écouter 150 ans après sa création, c’est son humour. Rien à voir avec le tragique de La Traviata : dans La Belle Hélène, on enchaîne les blagues, les jeux de mots et les situations ridicules. C’est un opéra plein d’esprit pendant lequel on rit souvent.

    Quelques exemples :

    « – [Hélène] Et quand je traverserai la foule, j’entendrai comme tout à l’heure une voix qui dira : « Ce n’est pas une reine, c’est une cocotte ! »

    – [Calchas] Cocotte ? Grande reine !

    – [Hélène] Oui … mais est-ce ma faute ? Moi, la fille d’un oiseau, est-ce que je puis être autre chose qu’une cocotte ? »

    « – [Oreste] Un sacrifice aujourd’hui ? A quelle occase ?

    – [Calchas] Tiens, vous parlez l’Argos ?

    – [Oreste] Quand ça me vient ! Ce dialecte a de l’avenir ».

    « [Pâris] Dans ce bois passe un jeune homme, un jeune homme frais et beau (c’est moi !) »

    « -[Hélène] Comment te trouves-tu ici ?

    -[Pâris] On m’a dit qu’il y allait y avoir un concours. Je suis venu dans l’espoir de me faire remarquer.

    -[Hélène] Par ta beauté ?

    -[Pâris] Par mon intelligence.

    -[Hélène] N’oublions pas ta beauté ! Tourne un peu la tête. N’ouvre pas la bouche. Admirable ! »

    La mise en scène met souvent ce ridicule en valeur. Dans la meilleure représentation que j’ai vue, les rois Grecs portaient des jupettes de tennis, Hélène une robe digne de Monica Bellucci dans Mission Cléopâtre, et Vénus était représentée par une photo de Marilyn Monroe. Je trouve très intéressant de prendre un thème connu et de le retourner complètement, de passer des tragédies grecques sanglantes à une farce. D’autant qu’à côté du ton humoristique, on a tout de même de très beaux airs qui sont un régal à écouter.


    L’histoire : L’intransigeance de la fatalité

    LA situation initiale

    Tout commence à Sparte, où résident la reine Hélène et son époux le roi Ménélas. Hélène est troublée, car elle a appris les événements du mont Ida : un berger du nom de Pâris y a été appelé à juger de la beauté de trois déesses, Junon, Minerve et Vénus. Lorsqu’il a choisi Vénus, celle-ci lui a promis en récompense l’amour de la plus belle femme du monde … qui n’est autre qu’Hélène. Seulement Hélène n’a pas spécialement envie de quitter son mari et d’être soumise à un destin qu’elle n’a pas choisi. Enfin, en tout cas, c’est l’image qu’elle veut renvoyer. Intérieurement, elle est peut-être moins vertueuse…

    L’élément perturbateur

    Mais Pâris arrive à Sparte : c’est un beau jeune homme, et il remporte un concours d’intelligence (enfin, une charade) face à tous les rois grecs. Ce concours est d’ailleurs marqué par les présentations des rois, particulièrement savoureuses :

    « [Ménélas] Je suis l’époux de la reine,

    -poux de la reine,

    -poux de la reine,

    Le roi Ménélas

    Je crains bien qu’un jour Hélène,

    qu’un jour Hélène,

    qu’un jour Hélène,

    Je le dis tout bas …

    Ne me fasse de la peine

    N’anticipons pas »

    « [Agamemnon] Ce roi barbu qui s’avance,

    -bu qui s’avance,

    -bu qui s’avance,

    C’est Agamemnon

    Et ce nom seul me dispense,

    seul me dispense,

    seul me dispense,

    D’en dire plus long

    J’en ai dit assez je pense

    En disant mon nom »

    Et à une fanfare spécialement nulle pour célébrer le triomphe du vainqueur ^^

    Soudain, Pâris révèle qu’il n’est pas un simple berger, mais le fils de Priam, roi de Troie. Hélène est sous le charme. L’air « Oh ciel, l’homme à la pomme » est à la fois un peu ridicule dans ses paroles et très beau dans sa mélodie.

    Le point de non-retour

    Avec la complicité de Calchas, le Grand Augure de Jupiter, Pâris s’arrange pour que Ménélas, qui ne se doute de rien, parte (parte, parte) pour la Crète, soi-disant à la demande des dieux. Hélène n’est pas la dernière à encourager son époux à mettre les voiles.

    « [Hélène] Va-t-en mon loulou

    Va-t-en n’importe où …

    Le roi plaintif qui s’embarque

    Est bien imprudent

    Et le peuple entier remarque

    Que dans un moment

    Il sera pour ce monarque

    Fâcheux d’être absent »

    « [Choeur] Pars, pars, pars pour la Crète

    Gagne Ménélas

    Le pays lointain

    Où te mène, hélas

    La voie du destin »

    La montée en puissance des conflits

    Au deuxième acte, on retrouve Hélène en proie aux doutes : déchirée – du moins, en apparence – entre son devoir et son destin, elle essaie de masquer sa beauté sous des robes austères, et interpelle Vénus pour lui demander conseil (« Dis-moi Vénus, quel plaisir trouves-tu à faire ainsi cascader la vertu »).

    Après une magistrale tentative de tricherie de Calchas au jeu de l’oie, Hélène part faire une sieste … Et Pâris, rusé, vient la voir en se faisant passer pour un rêve dans la première (seule ?) scène vraiment romantique de l’opéra (« Oui c’est un rêve / Ce n’est qu’un doux rêve d’amour / La nuit lui prête son mystère / Il doit finir avec le jour »).
    C’est un duo qui mêle la sincérité et le mensonge, la sensualité des sous-entendus et l’humour … Tout ça de façon très intéressante. Hélène pose la question secrète qui la taraude le plus, depuis le début : est-elle aussi belle que la déesse Vénus ? Pâris profite habilement de la situation en lui faisant comprendre que, sur le mont Ida, Vénus n’était pas très habillée et lui a chaleureusement manifesté son affection (« Oh chère Hélène tu devines / J’ai vu des épaules divines / Que cachait mal un flot de cheveux blonds »).

    Mais coup de théâtre ! Ménélas rentre de Crète à l’improviste et surprend les deux tourtereaux (« Ciel, mon mari ! »). Le scandale est total. Tous les rois grecs et leur cour sont appelés pour en être témoins, et chasser Pâris dans la honte (même s’ils s’accordent aussi à dire que, quand même, Ménélas aurait créé moins d’ennuis s’il avait prévenu avant de rentrer).

    L’affrontement final

    Troisième acte : les Grecs l’ont mauvaise. Vexée par le traitement qu’ils ont réservé à son protégé, Vénus « a mis au cœur des femmes de la Grèce un immense besoin de plaisir et d’amour » qui fait désordre. Les maris ont du mal à garder leurs femmes pour eux. Ménélas, lui, est soupçonneux contre la sienne, au risque d’exaspérer Hélène. Le roi Agamemnon et son ami Calchas s’efforcent de raisonner Ménélas et lui demandent de se sacrifier pour sauver la Grèce. Je citerai ici la blague qui est probablement la plus nulle de tout le livret (mais qui me fait toujours rire, bien sûr ^^) :

    « [Agamemnon] Allons ça, dépêchez, ça presse

    Regardez l’état de la Grèce.

    [Ménélas] Mais qu’est-ce qu’elle a, la Grèce ?

    [Calchas] Elle bout, la Grèce !

    [Ménélas] Ah ! La bougresse! »

    Mais Ménélas a une autre idée : il a fait venir le Grand Augure de Vénus pour apaiser la déesse. Le fameux invité arrive, plein de réconforts pour les Grecs tourmentés (« Je suis gai, soyez gais, il le faut, je le veux, lalaïtou lalalala »). Il promet que la déesse pardonnera à la condition que la reine Hélène l’accompagne à Cythère et sacrifie 100 génisses blanches. Ménélas est ravi (« Rien de mieux ! La reine fera ce voyage, et c’est mon peuple qui paiera les génisses blanches »), le peuple est ravi aussi (« Vive Ménélas ! / Oui mes enfants, vous les paierez »). Il ne reste qu’à convaincre la reine, ce dont l’augure se charge… en lui révélant secrètement qu’il n’est autre que Pâris, venu l’enlever. 

    La résolution

    Cette fois, encouragée par tout le monde, Hélène cède à la fatalité et accepte de partir avec Pâris (« Ma foi partons pour Cythère, ça leur fait plaisir »)… et c’est seulement au dernier moment que la supercherie est révélée : « Ne l’attends plus, roi Ménélas. J’emporte Hélène, elle est à moi. Je suis Pâris ! ». La guerre de Troie peut commencer.


    Thèmes et personnages : La complexité cachée

    Ce que j’aime beaucoup dans cet opéra, c’est qu’il propose plusieurs niveaux de compréhension (le niveau de base, le niveau salace, le niveau geek de la mythologie grecque, etc.) avec des jeux de mots parfois bien déguisés. Avec les années, des passages qui me paraissaient obscurs sont devenus très drôles.

    Et ce qui m’intrigue le plus, c’est qu’alors que La Belle Hélène est pour moi le symbole absolu de l’humour et de la légèreté sans conséquence, en vous le décrivant j’ai l’impression de n’avoir parlé que de destin tragique, et montré que la pauvre Hélène serait finalement une victime à qui on ne donne pas beaucoup de choix. Comme quoi, peut-être qu’un niveau de complexité supplémentaire se cache dessous.

    Ce qui est sûr, c’est que les personnages de cette histoire ont tous plusieurs facettes. Même si les rois Grecs sont présentés comme des balourds, ils sont aussi capables de noblesse. Pâris, qu’on prend tout d’abord pour un jeune homme brillant et séduisant, a ses côtés obscurs : il se montre égoïste et menteur. Quant à Hélène, est-elle vraiment victime de la fatalité, ou bien est-ce une excuse pour suivre ses penchants sans s’inquiéter des conséquences ? A chacun de se faire son avis, je pense.

    Concernant la narration, on est face à une structure en trois actes classique qui n’aurait pas déplu à Aristote. La vraie question est de savoir quelle est la force qui actionne ces péripéties : est-ce la fatalité ou bien les actions des personnages ?


    Dans votre histoire, le destin a-t-il un rôle à jouer ? Faites-vous intervenir des péripéties, ou bien des dieux tous-puissants qui décident du sort des mortels ?

    J’espère que vous avez apprécié cette nouvelle analyse d’opéra 🙂 Pour la prochaine fois, j’aimerais aborder Mozart et je vous laisse le choix : La Flûte Enchantée, Les Noces de Figaro ou Don Giovanni ?

    Crédits image : Cristina Gottardi on Unsplash

    9 commentaires sur “Passion opéra : La Belle Hélène, comédie grecque”

    1. Très bon article. Merci pour vos explications très intéressantes. Moi qui adore la mythologie, je découvre cet opéra avec ravissement ! Il faut dire que c’est un genre que j’avais pour le moment tenu éloigné de mes centres d’intérêt. C’est donc une vraie ouverture culturelle ! J’attends impatiemment le prochain article ! 😉

    2. Je vais être obligée de te gronder un peu : parler d’opéra sans mentionner les librettistes, c’est quand même un faux-pas ! A quelques exceptions près, les compositeurs étaient rarement auteurs de leurs livrets, et les opéras sont donc généralement le fruit d’un travail de collaboration entre un musicien et un écrivain. C’est vrai qu’on en parle rarement malheureusement, et les librettistes sont tombés dans l’oubli, mais du coup ces articles seraient une bonne occasion de leur redonner leur part de gloire 😉 Sans librettistes, la plupart des opéras n’auraient sans doute jamais vu le jour !

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    4. Ah ça y est, je vais avoir les airs dans la tête toute la journée! « ma » version est celle avec Felicity Lott et les dialogues ne sont pas tout à fait les mêmes, c’est rigolo!

      Effectivement, beaucoup de leçons à tirer des intrigues des opéras, et j’aimerais bien avoir l’humour de l’auteur de La Belle Hélène! Ses blagues ne sont pas les plus fines, mais elles sont intergenerationnelles et il y a même des rimes!

      Pour le prochain article, je vote pour La Flûte Enchantée!

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