J’avais commencé à entendre les éloges de Jaworski au début de l’année et je me suis peu à peu rendue compte qu’il occupait une place de choix parmi les auteurs français de fantasy. Après avoir un peu traîné, j’ai fini par craquer pour Gagner la guerre et ses 980 pages, en profitant des vacances pour dévorer le pavé.
De quoi parle Gagner la guerre
Benvenuto Gesufal est un redoutable homme de main au service du Podestat Leonide Ducatore, le maître de la République de Ciudalia. Alors que la République remporte une victoire éclatante contre son ennemi, Ressine, Gesufal n’est qu’au début de ses aventures. Assassin secret, il élimine les indésirables qui menacent la suprématie de son patron, et se retrouve la cible de familles nobles aussi puissantes que revanchardes. Le génie de Leonide Ducatore parvient à le protéger pour un temps derrière des voiles de dénis, de manipulations politiques et de mensonges, mais pour un temps seulement …
Impression générale
J’ai trouvé ce roman magistral. Il a vraiment énormément d’atouts : un style travaillé, une intrigue très prenante qui ne laisse quasiment jamais de repos, des personnages pleins de diversité et de profondeur, un univers superbement décrit … J’irai certainement jeter un œil à l’adaptation qui est en train d’être faite en BD car j’aimerais beaucoup confronter mon imagination à la représentation de la belle Ciudalia.
Voici un extrait de la première description de la ville :
« Pour le marin en bout de course, Ciudalia est une femme qui sait se faire désirer. Elle lui adresse des signaux de plus en plus appuyés de sa présence, mais se dérobe encore longtemps derrière les horizons méridionaux.
Bien avant qu’on puisse apercevoir les premières terres, c’est l’océan qui trahit la puissance de la ville. La mer se couvre de voiles. On aperçoit d’abord les silhouettes ventrues des nefs, hourques pansues et galéasses marchandes, qui roulent sur les flots comme de gros cétacés. La guerre avait chassé des eaux de la République les felouques et les tartanes des trafiquants ressiniens, mais ces esquifs se trouvaient remplacés par de nombreuses galères assurant la sécurité de nos flottes de commerce. Puis, éparpillés comme des courlis sur une grève, on découvre les flottilles de chasses-marées et de barques de pêche, qui approvisionnent jour après jour la piazza Pescadilla, le ventre de Ciudalia. Des nuées tournoyantes de mouettes et de goélands harcèlent ces embarcations, remplissent le ciel de cris stridents qui préfigurent déjà l’animation du port. Parfois, si la brise vient du sud, au milieu des embruns et de l’odeur de marée, le vent apporte une fragrance fantôme de pin et de laurier. »
Ce que j’ai le plus aimé
- L’intrigue est construite avec une complexité prodigieuse. Dès le premier chapitre, on est pris par des rebondissements inattendus qui tiennent en haleine sur des dizaines et des dizaines de pages. Les machinations de Leonide Ducatore sont de vraies parties d’échec avec cinq coups d’avance sur l’adversaire, dignes de Littlefinger et Tywin Lannister réunis. Heureusement que j’ai eu l’occasion de lire le livre en l’espace d’une semaine, sinon je me serais sans doute un peu perdue
- Le style est vraiment magnifique. Plus d’une fois, j’ai relu des phrases rien que pour apprécier la beauté de la construction. C’est décidément un livre très complexant à lire quand on écrit soi-même, parce que les comparaisons sont très défavorables ^^ La simple description d’une taverne, par exemple, fourmille de détails si réalistes qu’on s’y croirait vraiment
- Le mélange des genres. Tout démarre dans un univers digne d’Assassin’s Creed qui évoque furieusement l’Italie de la Renaissance, avec quelques touches exotiques, jusqu’à ce qu’un petit détour à la campagne fasse apparaître des elfes et des nains ! Ces grands classiques de la fantasy n’échappent pas à quelques clichés (la très longue vie des uns, les talents de forgerons des autres) mais sont dans l’ensemble traités avec des pointes d’originalité rafraîchissantes
- Les ruptures du 4ème mur. Par endroits, Benvenuto interrompit son récit (narré à la première personne) pour s’adresser directement au lecteur, le prendre à parti ou le préparer à certaines révélations. C’est un procédé narratif que j’ai trouvé franchement marrant, inattendu et sympathique. Ça crée une vraie complicité entre le lecteur et le scélérat qui lui raconte sa vie
Ce que j’ai moins aimé
- Pour citer Mission Cléopâtre, « je me demande si c’est vraiment nécessaire toute cette violence ». Ce livre est sombre, très sombre. Le héros, Benvenuto Gesufal, est un malfrat cynique sans aucun sens moral, qui tue et massacre indifféremment tous ceux sur son passage. Il n’y pas la plus petite parcelle de bonté en lui, aucune faiblesse attendrissante pour le racheter, rarement le moindre remord pour tous ses crimes. Alors que moi, j’aime plutôt les gentils. À force, c’est assez pesant, et la goutte d’eau a été pour moi la scène de viol décrite dans des détails odieux.
C’est le même niveau de violence et de vulgarité que peut atteindre le Trône de Fer, mais au moins dans le Trône de Fer la noirceur des uns est contrebalancée par la noblesse des autres, ou plus souvent bonté et vilenie se partagent les cœurs de la plupart des personnages. Ici, on est dans le noir complet. Ça laisse l’impression un peu trouble que l’auteur excuse les actions de son héros … D’autant que pas grand-monde, dans Ciudalia, ne fait preuve de grandeur d’âme et de sincérité. Je prends pour exemple une scène où Benvenuto demande à un de ses comparses s’il est responsable de la mort et de la mutilation d’enfants des faubourgs, et l’autre répond sèchement qu’il ne serait jamais assez bête pour faire ce genre de chose en pleine ville - Le style est très travaillé, et parfois un peu trop. C’est la première fois depuis longtemps que je suis perdue devant le vocabulaire employé dans un roman, tant il y a de termes d’argot, militaires, ou archaïques. J’en ai cherché quelques uns dans le dictionnaire (« aumusse », « gonelle », « goétie », « aulique », « rémige », « arbrier », etc.) mais à force, c’est un peu fatigant.
- L’univers est complexe et j’ai regretté l’absence de carte. Les descriptions sont suffisamment claires pour qu’on se repère, mais ça m’aurait intéressé de pouvoir situer plus clairement la République, Vieufié, Bromael, Ressine …
Note finale
4/5
Malgré le malaise que pouvait m’inspirer le personnage principal, ce roman était vraiment époustouflant et une lecture mémorable. Et vous, l’avez-vous lu ?
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Crédits image : Fnac
Je ne l’ai pas lu mais j’en ai entendu parler. Je n’aime pas trop la fantasy mais j’essaie de m’arranger. J’ai dans ma Pal Manesh et Les salads Gentilshommes.
Je n’ai pas lu Manesh mais je recommande les Salauds gentilhommes !
Voici un moment que j’entends aussi parler de ce roman et qu’on me le recommande ! Ton article me décide plus encore à le lire, passionnée que je suis par l’ambiance Italie de la Renaissance et les thématiques politiques — que j’essaie d’ailleurs de traiter également dans mon roman ^^ Quant à « Game of Thrones », ça me fait plaisir de lire ce que tu écris, on est d’accord : aussi brillante que soit cette série sur plein d’aspects, je la trouve facilement prompte à trop glisser dans la vulgarité, la violence et le sexe gratuits. Même si ce sont des époques terriblement violentes et où la condition des femmes laisse à désirer, le traitement dans la série laisse perplexe… Bref ! Merci pour cet article, et je vais me lancer dans cette lecture 🙂
Justement le fait que tous les personnages soient pas forcément tout blanc c’était un gros point positif pour moi (oui j’ai tendance à aimer les ordures haha). Si tu as aimé l’univers tu peux essayer de lire ses autres nouvelles qui l’approfondissent comme Janua Vera, Le sentiment du Fer ou Comment Blandin fut perdu 😉
C’est bien quand ils ne sont pas tout blancs c’est sûr, mais là j’avais carrément l’impression qu’ils étaient tout noirs 😁
Rooooh, Gagner la Guerre <3 Ce livre est extraordinaire !!! Je partage ton opinion sur le style de Jaworski… C'est impressionnant et par conséquent excessivement complexant. Et ces images… Je crois que je n'oublierais jamais de toute ma vie la comparaison d'une scène de pillage d'un village avec une fête grandiose, où l'on accroche les viscères aux arbres comme autant de guirlandes… Oh god.
Certains passages nécessitent un dictionnaire et une lecture très attentive, mais je me dis que si un jour je dois décrire la vie en mer ou en forêt, il me suffit de simplement relire quelques pages, tout le vocabulaire dont je peux rêver s'y trouve 😉
Je suis d'accord avec toi concernant la violence (encore que je ne trouve pas le trône de fer si violent que ça ? Tu parlais de la série ou des livres ?), j'ai été traumatisée par la première fois de la fille de Ducatore.. Oh god x2. Mais je trouve le personnage de Benvenuto extrêmement rafraichissant et intéressant. Je le trouve humain, avec des actions et des plans cohérents par rapport à sa personnalité. Et c'est inspirant pour créer des personnages avec des faiblesses ^^ ou savoir ce que l'on ne veut surtout pas faire ! ;p
C’est exactement ça 😉 en tout cas c’est clair que c’est un style dont on se souvient !
Pour le trône de fer la série va un peu plus loin dans le gore mais les romans sont quand même assez trash à la base
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