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Comment utiliser l’ironie dramatique

    Qu’est-ce que l’ironie dramatique et comment l’utiliser ? Dans cet article, je m’appuie notamment sur l’excellent ouvrage La Dramaturgie : L’art du récit d’Yves Lavandier, qui explore la notion d’ironie dramatique.

    L’ironie dramatique porte assez mal son nom, puisqu’elle n’a pas grand-chose à voir avec la moquerie ni avec l’humour. Au contraire, elle a plutôt trait au suspense, voire à la tragédie. Il faut en fait la comprendre comme un décalage qui se produit entre ce que comprend le lecteur par rapport aux personnages du récit.

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    Qu’est-ce que l’ironie dramatique ? Définition

    L’ironie dramatique est un procédé littéraire ou scénaristique qui consiste à mettre le lecteur au courant d’une information qu’au moins l’un des personnages ignore, cette ignorance étant source de conflit. Le personnage en question est la victime de l’ironie dramatique.

    Par exemple : un homme, inquiet pour la réputation d’un de ses amis, l’avertit que sa femme est peut-être en train de le tromper. Jusqu’ici, l’histoire paraît simple. Le lecteur se demande si la femme est vraiment infidèle, si son mari va le découvrir et comment il va réagir.

    Sauf que quelques scènes plus tôt, le lecteur a appris que l’homme indiscret n’était pas du tout un ami bien intentionné, mais un personnage retors qui avait inventé toute l’affaire pour rendre l’autre fou de jalousie.

    Tout de suite, la scène prend plus de saveur. Le lecteur est tenu en haleine par une question terrible : l’époux va-t-il accuser sa femme à tort, la répudier, voire pire ? Ou va-t-il découvrir (mais quand ? et comment ?) qu’il s’est fait duper ? 

    Vous penserez à féliciter Shakespeare pour avoir écrit Othello 😉 
    Dans la pièce, l’ironie dramatique est double :

    • Othello croit que Iago est un homme de confiance, le lecteur sait que c’est complètement l’inverse
    • Othello croit que sa femme Desdémone le trompe, le lecteur sait que c’est faux

    L’ironie dramatique peut reposer sur des informations qui ont été données dans l’histoire, comme ici, ou bien sur la culture générale du lecteur, notamment dans les romans ou les films historiques.

    Dans Titanic, par exemple, le spectateur sait dès le départ que le navire prétendument insubmersible va couler et que la plupart des personnages risquent d’y laisser leur vie. L’effet est le même quand vous lisez un roman qui se déroule en 1932 et où les personnages se réjouissent que les atrocités de la guerre soient derrière eux.

    On va donc retrouver facilement l’ironie dramatique dans des histoires de voyage dans le temps, de déguisements, de complots, d’arnaques, mais aussi dans les prequels (ainsi, les spectateurs de la prélogie Star Wars sont conscients dès le départ du sinistre destin d’Anakin Skywalker).

    Ironie dramatique générale ou diffuse

    Dans l’ironie dramatique générale, les informations sont explicitement données au lecteur.

    Le principe de l’ironie dramatique diffuse, au contraire, c’est lorsque le lecteur pressent que quelque chose de grave va arriver, sans qu’une information claire lui ait été donnée à ce sujet. Cette prémonition vient de la position du lecteur, qui est nécessairement plus lucide que les personnages, précisément parce qu’il sait qu’il est en train de lire une histoire.

    Si au début du récit, le protagoniste mène une vie paisible et heureuse, le lecteur sait que quelque chose va venir bouleverser son petit bonheur tranquille.

    Si au contraire, le récit démarre en plaçant les personnages dans une situation pénible (en prison, tourmentés par leur famille adoptive, contraint à l’exil, etc.), le lecteur devine qu’ils ne doivent pas se résigner à leur triste sort, car les choses vont certainement évoluer.

    On observe aussi ce procédé si le protagoniste atteint triomphalement son objectif… Mais que le lecteur se rend compte qu’il n’est qu’à la moitié du livre qu’il tient entre les mains.

    L’ironie dramatique diffuse est donc présente dans tous les romans.


    À quoi sert l’ironie dramatique ?

    L’intérêt d’utiliser l’ironie dramatique

    L’ironie dramatique est un outil puissant qui fait participer le lecteur à l’histoire

    Tout d’abord, elle le met dans la position agréable d’en savoir plus que les autres. Comme Yves Lavandier le fait remarquer, la situation est souvent inverse dans notre vie quotidienne : nous ignorons beaucoup de choses, nous prenons parfois des décisions à l’aveugle ou nous sommes victimes de mensonges, et nous découvrons après coup les informations qui nous auraient été utiles.

    La magie de la fiction, c’est de mettre pour une fois le lecteur dans une situation de contrôle et de supériorité.

    Ensuite, l’ironie dramatique crée une nouvelle ligne d’intrigue. À la question dramatique de base (« Le personnage va-t-il atteindre son objectif malgré les obstacles ? ») s’en ajoute désormais une autre : « La victime découvrira-t-elle, quand et de quelle façon, ce qu’elle ignore ? ». La réponse à cette question ironique est souvent « oui », c’est donc surtout le « comment » qui importe.

    En revanche, l’usage de cette technique n’est pas sans risque.
    En effet, si le lecteur a de l’avance sur le personnage qui est victime de l’ironie dramatique, il lui sera plus difficile de s’identifier à lui. Dans le pire des cas, le personnage peut alors si avoir l’air idiot ou ridicule. 

    Il faut donc éviter ce procédé si vous souhaitez créer une immersion complète entre le personnage et le lecteur et qu’ils éprouvent les mêmes émotions, en même temps.

    Ironie dramatique et genre littéraire

    L’ironie dramatique va jouer un rôle plus présent dans certains genres littéraires.

    On a vu ainsi le cas du roman historique, où le lecteur sait comment les événements se sont déroulés. Bien sûr, la force de l’ironie dramatique dépend des connaissances de chaque lecteur et de la célébrité de la période historique dans la culture populaire. Si l’histoire du Titanic est très connue, par exemple, un spectateur français de la série The Crown ne sera, en revanche, pas forcément très calé sur les détails de l’histoire politique anglaise des années 1950.

    Le roman policier fait aussi appel à l’ironie dramatique. Le lecteur sait qu’il y a de bonnes chances que le détective parvienne à résoudre l’enquête à la fin, même s’il n’attrape pas forcément le coupable. La question dramatique qui occupe le récit et l’esprit du lecteur n’est donc pas « Va-t-il y arriver ? », mais plutôt « Comment va-t-il faire ? » (en plus de « Qui est le coupable ? »).

    Il en va de même dans le genre de la romance : le lecteur sait que les deux personnages principaux vont très probablement finir ensemble, il se demande surtout comment.


    Fonctionnement et structure de l’ironie dramatique

    Maintenant que vous avez vu la valeur de l’ironie dramatique, comment l’utiliser ?

    Elle se construit en trois phases : 

    • L’installation est le moment où le lecteur est mis au courant de l’information. Si l’ironie dramatique repose sur la culture générale, cette phase n’est pas nécessaire
    • L’exploitation met en scène les conséquences et les conflits qui naissent de l’ignorance du personnage. Cette phase ne doit pas être négligée, car l’installation suscite chez le lecteur une attente qui ne doit pas être déçue. On veut voir la victime de l’ironie dramatique tomber dans le piège. L’exploitation peut générer par exemple une dispute, un danger, des malentendus, des gaffes ou des plaisanteries
    • La résolution, c’est lorsque la victime apprend enfin ce qu’elle ignorait. C’est là aussi une scène sur laquelle le lecteur a des attentes fortes, pour observer la réaction de la victime et les conséquences de cette révélation. Yves Lavandier y voit une « scène obligatoire » : le lecteur sait d’avance qu’elle va avoir lieu. C’est le « paiement » de la préparation qui a été faite par l’installation. Cette scène, souvent intense et riche en émotions, pourra être selon les cas désirée ou redoutée, gratifiante ou douloureuse

    Dans Roméo et Juliette, l’ironie dramatique repose sur le fait que Roméo se suicide en voyant Juliette sur son lit de mort, alors que le lecteur (ou le spectateur) sait qu’elle est toujours vivante.

    Dans la pièce d’origine, il n’y a pas de résolution pour Roméo. Mais il est intéressant de noter que l’adaptation réalisée par Baz Luhrmann dans Romeo + Juliet a rendu la scène encore plus intense et cruelle, en faisant en sorte que Roméo voie Juliette ouvrir les yeux juste après qu’il a avalé le poison.(J’ai dû voir ce film une dizaine de fois et pourtant, je hurle toujours de frustration sur cette scène)

    Toutes ces phases peuvent être rassemblées dans une seule scène ou bien s’étaler sur plusieurs chapitres, voire sur tout le roman. 

    Dans ce dernier cas, l’installation et la résolution vont constituer des points de retournement importants dans l’intrigue, qu’il sera intéressant d’utiliser quand on structure son roman ou ses scènes.

    Dans une structure en trois actes, par exemple, l’installation peut se dérouler dans le premier acte, l’exploitation occuper tout le deuxième acte et la résolution avoir lieu lors du climax.


    Ironie dramatique et narration

    Le type de narration que vous choisissez pour votre roman se prêtera plus ou moins bien à l’utilisation de l’ironie dramatique.

    (Pour en savoir plus sur les différents types de narration, consultez mon article dédié).

    La narration omnisciente en est le meilleur allié. Ce mode de narration, où le narrateur observe l’histoire et ses acteurs avec une certaine distance, est idéal pour donner au lecteur des informations que les personnages ignorent. De plus, cette narration souffre moins de la distance que l’ironie dramatique crée avec ses victimes.

    Une autre façon d’utiliser l’ironie dramatique dans sa narration est d’employer la narration focalisée, mais en alternant plusieurs narrateurs. Si vous présentez tour à tour le point de vue du protagoniste et de son ennemi, ou bien d’un personnage et de son love interest dans une romance, vous pourrez mettre en scène des situations particulièrement savoureuses. 

    La saga du Trône de Fer manie cette technique avec beaucoup d’habileté, en permettant au lecteur non seulement de suivre les arcs narratifs de personnages éparpillés aux quatre coins des Sept-Couronnes, mais aussi de connaître les véritables sentiments de chacun vis-à-vis des autres (en excluant tout de même les plus grands manipulateurs, pour préserver le suspense).

    Enfin, l’ironie dramatique joue aussi pleinement dans un cas particulier de narration : la narration à l’envers et l’utilisation de flashbacks.
    Le film Memento de Christopher Nolan en est un très bon exemple : il s’ouvre sur le protagoniste qui tue un autre homme. Sa mémoire vacillante le pousse ensuite à retracer à l’envers toutes les actions qui l’ont conduit à cet acte. Le fait de remonter en arrière petit à petit colore les scènes d’une tonalité radicalement différente à mesure que certaines informations sont révélées.


    J’espère que cet article vous aura donné envie d’étudier l’ironie dramatique dans les œuvres que vous découvrez et de l’appliquer dans vos écrits ! Avez-vous déjà utilisé cette technique ? Comment vous y êtes-vous pris ?

    PS : si vous souhaitez apprendre à mieux maîtriser l’ironie dramatique et les subtilités de la narration pour produire le meilleur effet possible sur vos lecteurs, ma formation « Formules magiques : 10 jours pour mettre au point votre style » pourra vous intéresser.

    5 commentaires sur “Comment utiliser l’ironie dramatique”

    1. Merci pour cet article bien documenté. Il aidera sûrement beaucoup de gens à donner plus de relief à leur narration.

      Pour répondre à la question : c’est un de mes procédés préférés, sans aucun doute. L’histoire sur laquelle je travaille (et dont seul le premier tome est paru) est racontée par les yeux de personnages qui n’ont aucune idée de ce que sont la science ou la technique « moderne ». Mais elle existe toujours (d’autres protagonistes les utilisent). Donc à plusieurs reprises, je décris des dispositifs qui intriguent fortement mes héros, de manière à ce que le lecteur « regardant au-dessus de leur épaule » comprenne peu à peu de quoi il s’agit… comme une complicité… mais aussi un jeu, des devinettes façon Pictionary qui parsèmeraient la narration. Et ce qui est intéressant au point de vue travail du texte, c’est qu’il faut réussir à en donner une image précise en évitant tout vocabulaire que les habitant d’une société pseudo-médiévale ne pourraient pas connaître. Pas toujours simple, mais très amusant à composer 🙂

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