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Inspiration : le Préraphaélisme

    Le Préraphaélisme est un mouvement artistique anglais né au milieu du XIXème siècle, qui met à l’honneur la peinture italienne antérieure à Raphaël (d’où son nom).

    Ses fondateurs (William Holman Hunt, John Everett Millais et Dante Gabriel Rossetti notamment, puis plus tard William Morris et Edward Burne-Jones) réprouvaient le conformisme académique, ainsi que les poses trop grandioses et pompeuses mises à l’honneur par Raphaël. Ils privilégiaient un art plus vivant et réaliste, alliant le sens du détail et les couleurs vives, à l’image des primitifs italiens et flamands. Ils s’inspiraient aussi bien de la vie moderne que de la religion, du Moyen-Âge, de l’imaginaire et de la légende Arthurienne.

    J’ai découvert ce mouvement à 20 ans grâce un cours sur l’art anglais et j’ai immédiatement :

    • eu un coup de foudre total
    • été très frustrée de ne jamais en avoir entendu parler auparavant.

    En effet, le Préraphaélisme est souvent méconnu en France (pour ne pas dire snobé). Je compte donc vous faire découvrir mes œuvres préférées et vous expliquer ce qui me plaît tant.

    Inspiration : le Préraphaélisme


    1848-1853 : débuts du Préraphaélisme et réalisme poétique

    Dans les premiers temps de la Confrérie Préraphaélite, leur peinture était dirigée par deux principes un peu contradictoires :

    • d’une part, un retour à l’inspiration des peintures italiennes et nordiques du XVème siècle. Les Préraphaélites étaient fascinés par la culture médiévale, où ils pensaient retrouver une intégrité spirituelle et créative perdue
    • d’autre part, ils souhaitaient aussi un retour à la nature, à l’observation détaillée de la vie moderne et aux modèles non idéalisés, suivant des principes réalistes

    Avec le temps, la Confrérie s’est scindée autour de ces deux intérêts. Hunt et Millais ont privilégié l’aspect réaliste et moderne tandis que Rossetti s’est spécialisé dans le médiéval stylisé. Cependant, les deux factions conservaient un idéalisme qui les distinguait du réalisme matérialiste des Impressionnistes comme Courbet.

    Annunciation
    Ecce Ancilla Domini (The Annunciation), Rossetti, 1850

    Ce tableau représente l’Annonciation, l’épisode de l’Evangile où l’Ange Gabriel annonce à Marie qu’elle va donner naissance au fils de Dieu. Bien que troublée, Marie accepte cette annonce (« Je suis la servante du Seigneur »).

    Le sujet de ce tableau était très courant au XVème siècle, mais sa conception par Rossetti est très novatrice. Au lieu de placer Marie sur une prie-Dieu dans un intérieur médiéval richement décoré, elle est montrée assise sur son lit, un peu sonnée, dans des tons bleu et blanc très sobres. L’ange n’a pas d’ailes mais des flammes aux pieds. Par ces particularités, Rossetti met l’accent sur l’atmosphère miraculeuse de la scène et s’éloigne des détails domestiques.

    L’oeuvre a été très mal accueillie par la critique, mais je la trouve fascinante.

    Found, Rossetti,1853
    Found, Rossetti, commencé en 1853

    Ce tableau inachevé évoque la rencontre entre une prostituée et son ancien amoureux. Il montre une série de contrastes : entre la campagne et la ville, entre l’innocence et la corruption. Le geste de l’homme qui serre les mains de la femme semble à la fois violent et désespéré.

    Pour ce tableau (et beaucoup d’autres ensuite), Rossetti a fait poser sa maîtresse Fanny Cornforth.

    Face aux critiques envers ses tableaux, Rossetti a cessé de les exposer dans des salons et s’est tourné vers des aquarelles vendues de façon privée.

    Ophelia, John Everett Millais, 1851-52
    Ophelia, John Everett Millais, 1851-52

    C’est la pièce Hamlet de Shakespeare qui est illustrée ici : on voit Ophélie, tombée d’un arbre après avoir tressé des guirlandes de fleurs, chanter dans une rivière juste avant de s’y noyer.


    Rossetti et les femmes

    Elizabeth Siddal

    Le modèle du tableau Ophélie est Elizabeth Siddal. Elle-même artiste et poète, elle deviendra ensuite la muse, l’élève, puis la femme de Rossetti.

    Elle mourut cependant, en 1862, conduisant Rossetti à la dépression. Obsédé par le poète Florentin Dante Alighieri (1256-1321), et par sa muse Béatrice en qui il voyait l’incarnation de l’amour idéal et platonique, il associera fréquemment les images de Béatrice et de sa femme défunte.

    Dante Drawing an Angel on the First Anniversary of the Death of Beatrice, Rossetti, 1853
    Dante Drawing an Angel on the First Anniversary of the Death of Beatrice (Dante dessinant un ange lors du 1er anniversaire de la mort de Béatrice), Rossetti, 1853

    Ici, Dante est interrompu par trois visiteurs qui l’observaient. Le luth, le crâne, les lys et le sablier sont des symboles traditionnels de l’amour, de la mort, de la pureté et du passage du temps.

    Beata Beatrix, Rossetti, 1870
    Beata Beatrix, Rossetti, 1870

    Ce tableau représente la mort de Béatrice, lorsqu’elle tombe dans une transe qui l’emmènera au paradis.

    Fanny Cornforth et Alexa Wilding

    Après la mort d’Elizabeth Siddal, Fanny Cornforth redevint la maîtresse officielle de Rossetti. À cette époque, les portraits de femmes réalisés par Rossetti devinrent de plus en plus stylisés et symboliques. Ceux figurant Fanny Cornforth tendaient à la présenter comme le summum de l’érotisme.

    Bocca Baciata, Rossetti, 1859
    Bocca Baciata, Rossetti, 1859 (Traduction : la bouche qui a été embrassée)

    Fanny Cornforth était le modèle initial d’un de mes tableaux préférés de Rossetti : Lady Lilith (1868). Selon un ancien mythe judaïque, Lilith était la première femme d’Adam et est traditionnellement perçue comme un dangereux démon séducteur. Elle aurait préféré quitter le jardin d’Eden plutôt que de se soumettre à Adam et se serait au passage unie à un archange. Elle incarne donc le désir et la luxure sans amour.

    Il est amusant de voir qu’après avoir peint une première version du tableau, Rossetti remplaça le visage par celui d’Alexa Wilding, devenue son nouveau modèle préféré.

    Lady Lilith (1868)
    Lady Lilith, Rossetti, 1868

    Ce tableau est conçu comme un pendant à Sibylla Palmifera (1870), dont le modèle est également Alexa Wilding et qui figure une femme, chastement vêtue, tenant la palme de la victoire de l’Âme contre la Mort et la Luxure.

    Sibylla Palmifera, Rossetti, 1870
    Sibylla Palmifera, Rossetti, 1870

    Les deux tableaux représentent respectivement la beauté du corps et celle de l’âme.

    Jane Morris

    Si Fanny Cornforth était la maîtresse officielle de Rossetti, il entretenait également une relation cachée avec Jane Morris, l’épouse de son ami William Morris. Elle lui servira de modèle aussi bien en peinture qu’en photographie.

    Proserpine, Rossetti, 1874
    Proserpine, Rossetti, 1874

    Comme Jane Morris, Prosperpine était condamnée à rester avec son mari Hadès…

    Jane Morris posant dans la maison de Rossetti, 1865
    Jane Morris posant dans la maison de Rossetti, 1865
    The Day Dream, Rossetti, 1880
    The Day Dream, Rossetti, 1880

    L’influence de la Confrérie Préraphaélite

    Si le cercle initial fut dissous dès 1853, le mouvement préraphaélite continua à exercer de l’influence sur l’art anglais au cours des décennies suivantes (et même en France, avec Gustave Moreau).

    On retrouve ainsi le goût des thèmes médiévaux chez le peintre Edmund Leighton, comme dans son magnifique tableau L’Accolade de 1901 :

    The Accolade, Leighton
    The Accolade, Leighton, 1901

    La figure d’Ophélie fut reprise par des peintres comme John William Waterhouse  :

    Ophelia, Waterhouse, 1894
    Ophelia, Waterhouse, 1894

    D’ailleurs, celui-ci fait preuve également d’un intérêt pour les thèmes arthuriens, comme avec la figure de la Dame de Shalott , évoquée dans un poème d’Alfred Tennyson (plus d’infos ici).

    The Lady of Shalott, 1888
    The Lady of Shalott, Waterhouse, 1888

    (Et on retrouvera cette passion pour les femmes, les lacs et les roseaux dans d’autres de ses charmants tableaux, comme Hylas et les nymphes, Waterhouse, 1896)

    Hylas et les nymphes, Waterhouse, 1896
    Hylas et les nymphes, Waterhouse, 1896

    Les thèmes arthuriens ont fait écho chez un autre peintre majeur du mouvement, Edward Burne-Jones, comme ici avec La Séduction de Merlin :

    La Séduction de Merlin, Burne-Jones, 1872-77
    La Séduction de Merlin, Burne-Jones, 1872-77

    Burne-Jones est l’un des rares artistes préphaélites dont quelques œuvres sont présentées en France, au musée d’Orsay, notamment La Roue de la Fortune :

    La Roue de la Fortune, Burne-Jones, 1875-83
    La Roue de la Fortune, Burne-Jones, 1875-83

    Son pinceau se démarque par sa grande précision et, outre sa série sur la Belle au Bois Dormant (❤️), on lui doit un autre tableau que j’aime beaucoup :

    Love Among the Ruins, Burne-Jones, version à l'huile de 1894
    Love Among the Ruins, Burne-Jones, version à l’huile de 1894

    Après la Première Guerre Mondiale, cependant, le Préraphaélisme fut jugé trop sentimental et passa de mode. Mais j’espère vous avoir montré qu’il mérite d’être (re)découvert !

    Ce que j’aime dans l’art préraphaélite, c’est sa dimension narrative, à quel point chaque tableau semble nous transporter dans une histoire et un autre monde. De plus, la splendeur esthétique, la perfection des traits et l’éclatement des couleurs en font des œuvres qu’on peut facilement contempler pendant des heures. J’aime cet idéalisme, aussi bien quand il dépeint des vieilles légendes que des sujets modernes.

    Je n’ai pas encore écrit d’histoire qui soit directement inspirée d’un de ces tableaux, mais ça serait bien possible que ça m’arrive un jour.

    Il y aurait sans doute encore beaucoup à dire sur ce sujet, mais cet article devient déjà long 🙂

    Si vous connaissiez déjà le Préraphaélisme, venez me dire en commentaire quelles sont vos œuvres préférées et pourquoi !

    Pour en savoir plus sur mes sources d’inspiration, je vous conseille les articles suivants :


    Sources : Wikipédia / Le Préraphaélisme, de Robert de la Sizeranne / Une ballade d’amour et de mort – Photographie préraphaélite en Grande-Bretagne 1848-1875 (catalogue de l’exposition au musée d’Orsay, du 8 mars au 29 mai 2011)

    Image de couverture : The Rose Bower from the « Legend of Briar Rose » by Sir Edward Burne-Jones, 1890

    9 commentaires sur “Inspiration : le Préraphaélisme”

    1. Je ne connaissais pas, mais merci beaucoup pour cette découverte. Chaque toile est une histoire à elle-seule. On devine les tensions et les doutes qui habitent les personnages.
      Elles sont superbes.
      Merci encore.

    2. Bien que le préraphaélisme constitue tout ce que je déteste en art (sans remettre en cause le talent des personnes impliquées), j’ai été passionné par la lecture de ton article particulièrement bien rédigé et argumenté. Merci !

      1. Haha ton commentaire m’a fait sourire 😉 Je comprends que ça ne plaise pas à tout le monde. Merci d’avoir lu l’article malgré tout !

        1. Oh, c’est purement une question de goût personnel, il n’y a aucun jugement de valeur. Et naturellement, ce sont les domaines que je connais le plus mal qui sont le plus susceptibles de m’inspirer 😉

    3. Je suis un inconditionnel des peintres preraphaelites, j’ai eu le bonheur de visiter la Tate Gallery, et avoir une des grandes emotions de ma vie en retrouvant les oeuvres que j’avais aimées dans les livres, j’ai poursuivi mes visites a Birmingham,Gladgow,Edinbourg, avec Burne Jones,Millais,Hughes et tous les autres merveilleux createurs, merci pour ce bel article, en France ,leurs oeuvres sont rares, mais à Orsay ,ou au Musée Jacquemart-André, on peut voir de belles expositions qui leur sont assez régulièrement consacrées , bravo et merci encore

    4. Merci pour cet article, grâce à vous j’ai découvert ce courant de peinture. Personnellement j’aime bien et les sujets traités sortent de ceux qui étaient de coutume avec le religieux. Amicalement Laurence Mana

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