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Avant/après : La première phrase de mon roman

    Il est essentiel d’apporter beaucoup de soin à la première phrase d’un roman ou d’une nouvelle : voilà l’un des conseils d’écriture les plus récurrents. En effet, lire la première phrase d’un texte, c’est comme saluer un inconnu, c’est l’occasion de se faire une première impression. Et si cette impression est ratée, le risque est fort que le lecteur repose le livre et en choisisse un autre.

    J’aimerais tout d’abord apporter quelques nuances à cette assertion.

    Au-delà de la première phrase, je pense que c’est plutôt sur le premier paragraphe (voire sur la première page) que le lecteur va se faire une idée. En tant que lectrice, je remarque de plus en plus de premières phrases très travaillées, faites pour accrocher très vite le lecteur, le mettre brutalement face à l’action ou à un mystère, presque comme un coup de poing. Des choses comme : « Je suis mort hier pour la septième fois », « La fumée qui s’échappait du canon du revolver avait un goût de métal », ou encore « Si vous aimez les histoires qui finissent bien, vous feriez beaucoup mieux de choisir un autre livre ». C’est intéressant si c’est bien fait… Néanmoins parfois, ça me paraît un peu artificiel. Mais dans les cas inverses, si la première phrase n’est pas absolument remarquable je vais certainement lire la ou les suivantes pour me faire une meilleure idée.

    Par ailleurs, l’image du lecteur en librairie ou en salon qui prend un livre au hasard, l’ouvre, le juge sur ses premiers mots et le rejette s’il n’est pas convaincu ne représente pas la majorité des cas. En ce qui me concerne, je choisis généralement mes livres sur la base de recommandations d’amis ou de blogs, et je les achète souvent en ligne. Puisque je les ai payés et que j’ai attendus pour les recevoir (sans compter le temps qu’ils ont passé dans ma PAL), je ne vais pas les abandonner au bout de quelques phrases !

    Enfin, le résumé du livre, sa couverture et les éventuels avis d’autres personnes sont aussi des éléments qui peuvent avoir autant d’importance que la première phrase , voire plus, pour motiver le lecteur à poursuivre sa lecture.

    Ces rappels étant posés, il faut tout de même admettre qu’une première phrase bien tournée, ça fait son petit effet. Et ça serait dommage de s’en priver ! Alors, comment écrire la première phrase de son roman ?

    Au risque de vous décevoir, je n’ai aucune méthode à vous proposer. En revanche, j’ai modifié plusieurs fois les premières phrases de mon roman Le Page de l’Aurore avant d’en être satisfaite. Je vous propose donc qu’on les dissèque ensemble pour voir pourquoi les premiers jets manquaient de punch, et comment j’y ai remédié.

    Avant / Après : la première phrase de mon roman


    Évolutions de la première phrase de mon roman

    Version 1 :

    • Première phrase du roman : Les deux chevaux allaient d’un pas lent à travers les rues boueuses de la ville.
    • 1er paragraphe : Les deux chevaux allaient d’un pas lent à travers les rues boueuses de la ville. Le premier, une fière jument blanche, fine et souple, portait une femme richement parée et au visage recouvert d’un masque. Sur le dos du second cheval, jeune animal placide à la robe brune, se tenait un tout aussi jeune cavalier, qui dévorait des yeux les alentours. Dans sa bouche légèrement entrouverte, il n’y avait guère longtemps que la dernière dent de lait était tombée. Le petit nez pointu de l’enfant semblait fouiller les odeurs qui lui arrivaient, à la recherche de quelque chose de familier. Mais à son air où se mêlaient étonnement et inquiétude, on devinait qu’il n’avait jamais mis les pieds à la ville avant ce jour.

    La première chose qui me dérange dans cette première phrase, c’est l’utilisation du mot « lent ». Pas la façon la plus dynamique de commencer une histoire ! Ensuite, « allaient » est un verbe faible qui ne transmet pas d’émotion et n’éveille pas beaucoup d’intérêt. Il ne se passe pas grand-chose, en somme, dans cette première phrase.

    Sur la suite du paragraphe, l’omniprésence des adjectifs me brûle un peu les yeux ^^ Surtout la « fière jument blanche fine et souple » : quatre adjectifs pour décrire un cheval qu’on ne reverra même pas dans l’histoire ! En plus, pour être franche, je n’y connais rien en chevaux alors « fine et souple » je ne vois même pas vraiment ce que ça évoque. Ça paraît illogique de donner la première place dans mon texte à la description des chevaux, qui n’intéressent pas grand-monde.

    A lire aussi >> Corriger son roman : les défauts de style

    Enfin, sur le fond, je me suis fait la réflexion qu’il serait beaucoup plus logique que mes personnages (une princesse et son protégé ayant effectué un très long voyage) se déplacent en carrosse plutôt qu’à cheval. Bref, à revoir.


    Version 2 :

    • 1ère phrase du roman : Ils avaient voyagé dans une berline discrète pour éviter d’attirer l’attention et, lorsqu’ils arrivèrent aux portes de la ville, leurs noms furent chuchotés aux gardes par le cocher afin de n’être entendus de personne d’autre.
    • 1er paragraphe : Ils avaient voyagé dans une berline discrète pour éviter d’attirer l’attention et, lorsqu’ils arrivèrent aux portes de la ville, leurs noms furent chuchotés aux gardes par le cocher afin de n’être entendus de personne d’autre. Dotée d’un châssis souple et solide, la berline ne manquait pas de confort et constituait un véhicule idéal pour accomplir le long voyage qui séparait la province d’Onati de la capitale, Everlon. Une fois les portes passées, ses hautes roues s’élancèrent sur les pavés et l’un de ses occupants se pencha pour observer la ville à travers les ouvertures percées dans les volets de bois qui fermaient les fenêtres. Dans la bouche légèrement entrouverte du petit curieux, il n’y avait guère longtemps que la dernière dent de lait était tombée. Le petit nez pointu de l’enfant semblait fouiller les odeurs qui lui arrivaient, à la recherche de quelque chose de familier. Son regard clair exprimait tout son étonnement, ainsi qu’une légère inquiétude. Il n’avait jamais mis les pieds à la ville avant ce jour.

    Il y a du mieux. Cette fois, la première phrase du roman sous-entend un peu de mystère avec toute cette recherche de discrétion. Pourquoi tiennent-ils à se cacher ? J’aime bien quand un texte débute en poussant le lecteur à se poser des questions.

    Si le fond s’améliore, donc, la forme a encore une bonne marge de progrès. Je trouve surtout cette première phrase trop longue. 40 mots ! Il s’y passe plusieurs choses à la fois, on est un peu bousculés par cette précipitation. Et ce début au passé composé avec « ils avaient voyagé » manque également de tonus. C’est dommage de commencer par évoquer un passé pas très excitant au lieu d’aborder directement l’action en cours.

    Concernant la suite, on remarquera que j’avais toujours une obsession pour la souplesse, alors que finalement tout le monde s’en tape de ce châssis. En revanche, je suis très satisfaite de cette entrée en carrosse et je trouve l’action mieux rythmée : l’approche, l’arrêt à la porte, le nouveau départ, la curiosité du petit garçon.


    Version 3 :

    • 1ère phrase du roman : Tirée par deux chevaux, la berline arrivait aux portes de la ville.
    • 1er paragraphe : Tirée par deux chevaux, la berline arrivait aux portes de la ville. C’était une voiture sans armoiries ni dorures, choisie pour éviter d’attirer l’attention. Le cocher arrêta l’équipage et jeta un coup d’œil prudent autour de lui pour s’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne traînait dans les parages. Il chuchota le nom de ses passagers aux soldats qui gardaient l’accès, puis ils repartirent. La solide berline ne manquait pas de confort et constituait un véhicule idéal pour accomplir le long voyage qui séparait la province d’Onati de la capitale, Everlon. Une fois les portes passées, ses hautes roues s’élancèrent sur les pavés et l’un de ses occupants se pencha pour observer la ville à travers les ouvertures percées dans les volets. Dans la bouche légèrement entrouverte du petit curieux, il n’y avait guère longtemps que la dernière dent de lait était tombée. Le nez pointu de l’enfant semblait fouiller les odeurs qui lui arrivaient, à la recherche de quelque chose de familier. Son regard clair exprimait tout son étonnement, ainsi qu’une légère inquiétude. Il n’avait jamais mis les pieds à la capitale avant ce jour.

    La première phrase du roman s’est raccourcie, l’action est mieux découpée. Est-ce que vous sentez le changement que ça produit ? On commence directement à la porte, avec le verbe « tirer » qui donne une sensation de mouvement, donc davantage de dynamisme. Cela dit, « tirer » donne l’impression d’un mouvement contraint, d’un effort laborieux, qui n’était pas tout à fait ce que je voulais exprimer. J’ai aussi explicité en quoi la berline était discrète et se différenciait des carrosses classiques (« sans armoiries ni dorure »).

    En revanche, crime capital ! Cette première phrase est à la voix passive ! 😱 C’est dommage d’utiliser cette voix au début d’un texte car elle donne un côté plus distant et éloigne de l’action. Cependant, dans les phrases suivantes, la voix active est utilisée pour décrire les actions du cocher et je trouve que ça donne tout de suite un côté plus personnel, plus vivant.

    Vous remarquerez aussi qu’à ce moment-là des corrections, je me suis efforcée de simplifier mon texte, en remplaçant par exemple « les volets de bois qui fermaient les fenêtres » par « les volets ».
    Malgré tous ces changements, quelques éléments de la première version survivent encore 😉 Le « petit nez pointu » résistera-t-il jusqu’à la version finale ?


    Version 4 :

    • 1ère phrase du roman : Le claquement régulier des sabots s’interrompit lorsque la berline parvint devant les portes de la ville.
    • 1er paragraphe : Le claquement régulier des sabots s’interrompit lorsque la berline parvint devant les portes de la ville. La voiture se voulait discrète : ni armoiries ni dorures n’ornaient ses portières.
      ─ Qui va là ? fit l’un des soldats qui gardaient l’accès.
      Prudent, le cocher jeta un coup d’œil autour de lui et s’assura qu’aucune autre oreille ne traînait dans les parages, puis il se pencha pour chuchoter le nom de ses passagers.
      La solide berline offrait tout le confort nécessaire pour accomplir le long voyage qui séparait la province d’Onati de la capitale, Everlon. Une fois les portes passées, ses hautes roues s’élancèrent sur les pavés et l’un de ses occupants se pencha pour observer la ville à travers les ouvertures percées dans les volets. Dans la bouche légèrement entrouverte du petit curieux, il n’y avait guère longtemps que la dernière dent de lait était tombée. Le nez pointu de l’enfant semblait fouiller les odeurs qui lui arrivaient, à la recherche de quelque chose de familier. Son regard clair exprimait tout son étonnement, ainsi qu’une légère inquiétude. Il n’avait jamais mis les pieds à la capitale avant ce jour.

    Ouf, la voix passive a disparu ! Et en évoquant le « claquement des sabots », je fais appel à un nouveau sens, celui de l’ouïe. Évoquer différentes sensations permet au lecteur de mieux s’immerger dans l’histoire.

    J’ai aussi donné une phrase de dialogue au garde, pour injecter encore plus de vie dans la scène et changer de rythme. Mais finalement, on ne parle plus du tout des chevaux. Adieu, fière jument blanche ! Lors des corrections, on doit souvent faire des petits sacrifices.


    Version 5 (et finale) :

    • 1ère phrase du roman : Le claquement régulier des sabots s’interrompit lorsque la berline parvint aux portes de la ville.
    • 1er paragraphe : Le claquement régulier des sabots s’interrompit lorsque la berline parvint aux portes de la ville. La voiture se voulait discrète : ni armoiries ni dorures n’ornaient ses flancs.
      — Qui va là ? fit l’un des soldats qui gardaient l’accès.
      Prudent, le cocher jeta un coup d’œil autour de lui et s’assura qu’aucune autre oreille ne traînait dans les parages, puis il se pencha pour chuchoter le nom de ses passagers.
      La solide berline offrait tout le confort nécessaire pour accomplir le long voyage qui séparait la province d’Onati de la capitale, Everlon. Une fois les portes passées, ses hautes roues s’élancèrent sur les pavés et l’un de ses occupants se mit à observer la ville à travers l’ouverture d’un volet. Dans la bouche entrouverte du petit curieux, la dernière dent de lait était tombée depuis peu. Le nez pointu de l’enfant semblait fouiller les odeurs qui lui arrivaient, à la recherche de quelque chose de familier. Son regard clair exprimait tout son étonnement, ainsi qu’une légère inquiétude. Il n’avait jamais mis les pieds à la capitale avant ce jour.

    Et voici la toute dernière version. Cette fois, les changements par rapport à la précédente sont très légers et à peine remarquables. Par exemple « aux portes » plutôt que « devant les portes », ou « l’ouverture d’un volet » plutôt que « les ouvertures percées dans les volets ». Ils visent essentiellement à raccourcir les phrases et à alléger le style. Merci Antidote 😉

    Et le nez pointu est resté, finalement ! D’ailleurs, les 3 dernières phrases de ce passage n’ont même presque pas changé (j’ai seulement mis « capitale » au lieu de « ville »). Comme quoi, même si en relisant son premier jet on peut avoir l’impression que tout est à reprendre, il y a toujours des éléments à conserver.


    Qu’avez-vous pensé de cet exercice ? Auriez-vous corrigé les mêmes éléments ?

    Et vous, quelles sont les fautes que vous traquez dans vos premières phrases de roman ? N’hésitez pas à me partager vos méthodes en commentaire !

    Crédits image :  Aaron Burden on Unsplash

    15 commentaires sur “Avant/après : La première phrase de mon roman”

    1. Hello! Alors là je suis vraiment fan de cet exercice. Je vais me pencher sur mes écrits pour faire la même et regarder l’évolution de mes premières phrases. Tes remarques sont ultra pertinentes et effectivement les dernières phrases donnent davantage envie de découvrir la suite. Il y a très peu de descriptions contrairement aux premières versions, le texte gagne en dynamisme. Très bon article sincèrement. Félicitations ! 😉

    2. C’est une très bonne idée d’article ! J’avoue que je fais partie de ces lecteurs qui jugent les livres à leurs premières lignes… Pas systématiquement, mais quand je flâne en librairie et que je regarde des titres par curiosité, c’est quelque chose qui me permet de confirmer mon achat – ou de reposer l’ouvrage. En général je suis attirée par la couverture ou le titre, je jette un oeil à la quatrième, et si mon attention est toujours là, lire la première page achève ou non de me convaincre.

      Le premier paragraphe peut donc être décisif, et c’est toujours bon de le rappeler. C’est très intéressant de voir l’évolution de celui du Page, et les pistes que tu as suivies pour le travailler ! Tu as fait un joli boulot dessus 😉

      1. Merci ^^
        Et je suis d’accord, moi aussi quand je suis en librairie ou en salon j’ai cette démarche, seulement ça ne représente pas la majorité de mes achats de livres.

    3. J’aime beaucoup les exercices de révision de texte !
      Pour la dernière partie, j’aurai raccourci la phrase du nez.
      « Le nez pointu de l’enfant fouillait l’air à la recherche d’une odeur familière. Au dessus du regard clair, les sourcils exprimaient tout leur étonnement. Qu’allait-il découvrir derrière ces portes ? Pour lui, c’était une première à la capitale.  »

      Les 2 dernières phrases que je propose ne me plaisent pas beaucoup…

      Allez je retourne à ma propre révision de texte. Je dois l’envoyer à mes primo-lectrices demain à la première heure !

    4. Merci pour cet article ! J’adore voir le processus de révision d’un texte, c’est super intéressant.
      C’est marrant parce que personnellement, je crois que je n’ai JAMAIS lu les premières phrases d’un livre pour me décider à l’acheter. Je crois que psychologiquement, si je commence à lire il faut que je finisse le livre^^. En y réfléchissant rapidement, je n’arrive à trouver que 3 titres que j’ai commencés mais pas finis (dont un que j’ai lu en entier plus tard d’ailleurs^^).

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