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(A moitié) lu récemment : « Le Don », ennui et déception

    (Avec une pensée émue pour Tea Time in Bloomsbury qui m’a encouragée à faire cette chronique acide 😉 )

    J’ai tenté récemment de lire un livre qui m’est tombé des mains tellement il était décevant. Je reste bloquée depuis 2 mois à la page 232 sur un total de 666 (je suis sûre que c’était un avertissement).

    Durant ma lecture fastidieuse de ces 232 pages, j’en étais littéralement à lever les yeux au ciel et à soupirer une page sur deux d’exaspération – entre autres, mais pas seulement, parce que l’auteur utilise le mot « littéralement » dans un sens qui n’est pas littéral – crime contre la littérature s’il en est.

    Il s’agit du roman Le Don, premier tome de la trilogie Le Dernier Souffle de Fiona McIntosh

    Le Don - Fiona Mcintosh.jpg

    De quoi ça parle

    Voici la 4ème de couverture :

    Depuis des siècles, un membre de la famille Thirsk sert le roi de Morgravia comme général des armées, mais aucun n’avait jusque-là prêté allégeance à un noble aussi cruel que Celimus. Et aucun n’était aussi jeune que Wyl Thirsk, général à 17 ans. Aussi, lorsque Wyl Thirsk est forcé par Celimus à assister à la torture de Myrren, une jeune femme accusée de sorcellerie, il craint de devenir le premier de sa lignée à trahir son serment. A la tête d’une bande de mercenaires disparates, ne pouvant faire confiance à qui que ce soit, Wyl est envoyé en mission diplomatique dans un pays voisin. A chaque pas, la trahison le guette, et il commence à se demander s’il rentrera chez lui sain et sauf. Mais Myrren, reconnaissante de la compassion dont il avait fait preuve à son égard, a fait un don extraordinaire à Wyl qui va changer sa vie pour toujours… le pouvoir du Dernier Souffle.

    Impression générale

    Il y a tellement de choses qui me gonflent dans ce livre que je ne sais pas par quoi commencer. Déjà, il faut à peu près 200 pages pour que l’histoire commence … sauf qu’au moment où les choses deviennent tragiques pour le héros, j’étais déjà complètement désintéressée par son sort. En fait, tout sonne faux et artificiel dans cette histoire.

    • Les personnages sont plats
      1. Le méchant est exclusivement un méchant, un prince « d’une beauté irréelle » mais pervers et sadique, gonflé d’orgueil et de soif de vengeance à cause de sa mère, une princesse étrangère qui n’a jamais aimé son père, le considérait comme un rustre, et a inculqué cette vision du monde à son fils avant de mourir dans des circonstances troubles … Cependant, la mère en question est morte quand le méchant avait 4 ans. 4 ans. Je ne sais pas pour vous mais moi à cet âge je n’avais pas de souvenirs et encore moins de capacité à développer une soif de vengeance. Et à part ça, on n’a aucune explication satisfaisante pour justifier comment il a acquis un caractère aussi tordu. Comme j’en parlais dans cet article sur la construction des héros et des méchants, ce méchant-là n’a aucun conflit intéressant, il n’est pas tiraillé entre le bien et le mal, ce n’est qu’un enfant gâté et très, très mal élevé
      2. A côté de lui on a trois gentils : le héros brave et gentil (mais décrit comme laid), sa sœur qui est d’une beauté si exceptionnelle qu’elle rend tout le monde amoureux dès ses 11 ans (on ADORE cette sexualisation des petites filles, vraiment), et son meilleur ami qui est beau et gentil. C’est tout, leur personnalité ne va pas au-delà. Aux alentours de la page 200 on découvre une autre gentille dont le héros tombe amoureux au premier regard. Là où la sœur était jolie mais avec une tendance à se pomponner, l’autre est « une jeune femme éblouissante » et une rebelle qui n’aime pas mettre des robes. Ses cheveux sont « une cascade de jais », elle est « grande et élancée, un peu trop mince » – mais je vous rassure, avec « un généreux décolleté » et « des jambes fuselées »
    • Les descriptions, justement, sont plaquées dans le récit sous le prétexte d’un dialogue. On a plusieurs fois de suite des personnages qui en décrivent d’autres de façon extrêmement détaillée en plusieurs paragraphes de monologue, au lieu de nous permettre de découvrir ces personnages par nos propres yeux. Par exemple, quand le père de la jeune femme éblouissante évoque sa fille :

    « Valentyna est la prunelle de mes yeux. Elle emplit mon coeur de fierté, non seulement parce que c’est ma fille, mais aussi parce qu’elle est devenue une femme qui est tout ce que je pouvais souhaiter – et plus encore. Dès son plus jeune âge, elle a compris que dans une certaine mesure j’avais manqué [au royaume] en ne lui donnant pas un héritier. Et elle s’est donné comme objectif de devenir en tout point meilleure que le fils que je n’ai pas eu. Elle monte à cheval mieux que la plupart des hommes que je connais, elle tue un cerf d’une seule flèche et elle le dépèce mieux et plus vite que je ne le faisais lorsque j’avais deux fois son âge. Elle sait se battre à l’épée et c’est une stratège accomplie – même si j’espère qu’elle n’aura jamais à user de ces talents. Il n’y a rien de futile chez elle, aucune frivolité, et pourtant c’est la femme la plus superbe et la plus généreuse qui soit.Elle entend conduire le royaume avec fermeté, mais avec la sensibilité que seules les femmes possèdent. Elle comprend sincèrement les besoins des gens. Si elle monte sur le trône, elle sera une souveraine sans égale. »

    D’une part, quelqu’un peut-il aller gentiment expliquer à l’auteur le concept de Mary-Sue et en quoi il est horripilant ? Même le personnage de Tauriel dans le Hobbit était moins caricatural … c’est dire !

    D’autre part, un des conseils les plus souvent donnés en écriture est de « montrer plutôt que raconter » (bien explicité dans cet article du blog Mécanismes d’Histoire), et une description pareille vient complètement à l’encontre de ce principe. On ne nous laisse pas découvrir cette fameuse Valentyna, on ne prend pas le temps de nous la montrer dans son quotidien, en interaction avec son entourage pour qu’on s’en fasse notre propre opinion, non : Valentyna est décrite comme la femme idéale, et le lecteur est prié de croire l’autrice sur parole

    • C’est lent et c’est pesant. Pendant les 200 premières pages, l’intrigue démarre à peine. Le héros n’aime pas le méchant, mais il doit le servir parce qu’il est loyal, même quand le méchant est imbuvable. 50 pages sont consacrées au fait que la précieuse virginité de la sœur du héros est menacée parce que le méchant a rétabli une tradition qui lui permet de demander « le sang d’une pure ». Il n’y a quasiment aucun autre enjeu d’importance pendant ces 50 pages, et cet enjeu-là n’a franchement rien de trépidant.
      Enfin, les idées les plus banales sont présentées comme des plans de génie. Par exemple : deux royaumes se font la guerre depuis une éternité, à tel point que plus personne ne sait pourquoi, et finalement les deux souverains s’estiment mutuellement. L’un a une fille, l’autre a un fils …Je vous laisse deviner quelle est l’extraordinaire solution présentée comme « une idée de génie » qui va ramener la paix …
    • Dernier détail, mais qui m’a aussi agacée tout au long de ma lecture : j’ai un gros problème avec les noms. Ceux de « Wyl » et « Valentyna » ont été victimes de la méthode classique « changeons 2 lettres à un prénom normal pour lui donner une allure fantasy ».
      Par ailleurs, le chien du héros est une grosse bête noire et terrifiante qui répond au nom imposant de … « Filou ». Ce n’est qu’un détail, mais je le compare systématiquement à « Œil-de-Nuit » (le loup et compagnon inséparable de Fitz, héros de l’Assassin Royal de Robin Hobb) qui était un nom aussi noble et inoubliable que le loup lui-même. Je trouve « Filou » tellement ridicule en comparaison que je sors de l’histoire à chaque fois qu’il est mentionné

    Note finale

    1/5, évidemment.

    Grille d'évaluation : 1/5

    Ce livre a été d’un ennui total. En tant que romancière, alors que je consacre moi-même tant d’effort à travailler mes personnages et mon scénario, je trouve même insultant d’avoir trouvé des manques aussi grossiers dans la construction de l’intrigue et des personnages pour un roman aussi populaire. Car c’est bien le problème ! Le Don est vrai succès en fantasy, il m’avait été chaudement recommandé par un grand amateur du genre. Il y a même une critique extrêmement positive de Robin Hobb sur la 4ème de couverture ! #trahison #disgrâce

    Je ne comprends vraiment pas … Suis-je complètement passée à côté de quelque chose ? Si vous avez lu et aimé ce livre, j’aimerais beaucoup savoir en quoi il vous a plu et si, par hasard, le style et l’histoire s’améliorent au-delà de la page 232.

    En attendant, si vous ne l’avez pas lu, je vous encourage à ne pas perdre votre temps là-dessus.

    0 commentaire pour “(A moitié) lu récemment : « Le Don », ennui et déception”

    1. Je ne lirai pas ce livre, pour sûr, mais j’ai adoré lire ton avis ! Je l’ai trouvé drôle et pertinent, bien imagé par ces exemples qui ne flatte pas ce bouquin, c’est clair ! J’espère que tu retrouveras vite une lecture plus plaisante 😉

      1. Haha merci, contente de t’avoir fait rire 😉 depuis je me suis réconciliée avec l’humanité en lisant la Passe-Miroir ❤️

    2. Les meilleures critiques sont celles qui viennent du coeur. J’ai adoré la manière avec laquelle tu as transformé ce citron plus qu’amer en limonade ! Qu’est ce qu’il était carabiné en plus …
      En tout cas, tu m’as fait pleuré de rire ! Merci d’avoir partagé cette limonade avec nous !

    3. Mh. Je comprends ton agacement et ta frustration. J’aurais probablement réagi de la même façon, mais bon… Quelqu’un plus haut parle de critique, mais j’ai un peu de mal, je t’avoue, à accepter cet article en tant que « critique ». C’est un coup de gueule, ça c’est sûr, huhu, mais une critique, mh,… Il aurait fallu le lire jusqu’au bout d’abord. Là, tu aurais une vraie bonne idée de la bête, dans son ensemble 😉
      Après tout, y a peut-être une raison valable pour laquelle ce bouquin est encensé par Hobb et cette raison se trouve peut-être dans les 300 dernières pages du livre 😉

      Ceci dit, je ne sais pas à quel public s’adresse ce livre. Peut-être que pour une cible plus jeune, plus ado, les défauts sont des caractéristiques standards propre à ce type de roman? Je ne lis pas beaucoup de romans, comparé à toi, ça c’est sur, alors je n’ai sans doute pas vu autant de cliché que toi au cours de ma carrière de lectrice. Peut-être que c’est exaspérant un peu exprès? Y a des romans faciles, simplets, clichés, qui s’adressent à des consommateurs moins avertis, moins exigeants. Y en a des lecteurs qui aiment la facilité, qui veulent pas se prendre la tête. Y en a pour qui un méchant qui est juste méchant, ça leur convient très bien, et ça remplit quand même le boulot de divertir le lecteur. Y en a qui ont pas besoin de complexité et d’élaboration pour être bon public.

      Est-ce que c’est dommage? J’imagine que oui.

      Je lirai peut-être ce bouquin un jour, ne serait-ce que pour m’instruire sur ce qu’il ne faut PAS faire quand on veut écrire un bon roman aka m’instruire sur la manière de faire un roman acclamé par le public sans trop me prendre la tête, ha! Je suis curieuse de voir la maison d’édition qui a accepté ce manuscrit.. Je me demande si les autres bouquins sont de la même trempe.

      1. Ben je suis sincère quand je demande si des gens qui ont apprécié le livre peuvent me dire pourquoi et si ça s’améliore, mais je trouve ça quand même pas normal qu’un livre soi-disant réputé laisse passer 200 pages avant de devenir intéressant.

        1. Je l’ai lu il y a quelques années, donc je vais avoir du mal à le défendre efficacement, mais… J’avais surtout aimé les rebondissements dans l’intrigue, suite à la nature du don reçu par Wyl.

          J’admets que les débuts sont un peu longs et qu’ils ne révolutionnent pas le genre ; un « serviteur » obligé d’obéir à son souverain, véritable tyran, c’est sûr, ce n’est pas original. Mais, pour moi, l’histoire décolle à partir du moment où Wyl reçoit son don 🙂

          De plus, l’auteure a vraiment osé ; elle n’a pas peur de choquer son lecteur. Je ne sais pas à quel moment tu t’es arrêtée, mais… certains évènements étaient vraiment durs 🙂

      1. Oui, mais curieusement depuis je suis tombée sur deux critiques très enthousiastes qui m’ont rendue encore plus perplexe, je pense qu’il faudra un jour que je me motive à lire la suite pour le juger de façon vraiment objective

        1. Peut-être que l’auteur déconstruit tous les clichés du début par la suite ? C’est peut-être une manière de jouer avec les codes du genre, après tout. Je n’ai jamais lu Fiona McIntosh donc je ne peux pas trop donner mon avis là-dessus.

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